Immobilier : La guerre des petites annonces déclarée ?
Les grands réseaux d'agence réfléchissent à un grand site unitaire pour faire passer leurs annonces
En octobre dernier, deux députés socialistes dans des questions adressées aux Ministres dénonçaient la « concurrence déloyale » des transactions immobilières réalisées entre particuliers envers les professionnels. En cause : la professionnalisation des ventes notamment via les sites d'annonces gratuites.
En octobre dernier, deux questions exactement similaires (publiées au Journal officiel les 21 et 28 octobre) posées au Ministère des Finances et Comptes Publics et au Ministère de l'Economie, Industrie et Numérique mettaient les pieds dans le plat. Respectivement envoyée par Jacques Cresta (Socialiste, républicain et citoyen - Pyrénées-Orientales) et Sylviane Bulteau (Socialiste, républicain et citoyen – Vendée), la fameuse question interrogeait les Ministres concernés « sur la concurrence que constituent certains sites d'annonces gratuites, notamment pour les professionnels de l'immobilier qui considèrent que celle-ci s'exerce de façon tout à fait déloyale, et même au détriment de l'État, en laissant s'installer un marché parallèle de l'immobilier. »
La question se poursuit en ces termes : « lorsqu'une transaction immobilière est réalisée par l'intermédiaire d'un professionnel, ce dernier pratique des honoraires qui sont assujettis à l'impôt (TVA). Ce qui n'est naturellement pas le cas dans le cadre d'un arrangement entre particuliers. Le principal site internet d'annonces gratuites en France, accessible sans inscription préalable, propose environ 260.000 annonces. Si l'on considère une somme moyenne de 6.000 euros HT sur ces transactions, à laquelle on applique 20% de TVA, on obtient 312 millions d'euros environ de manque à gagner pour l'État. La vente de particuliers à particuliers s'est donc indéniablement « professionnalisée » grâce aux nouvelles technologies. Aussi, elle lui demande quelle est la position du Gouvernement à ce sujet et s'il envisage de réglementer ces nouveaux usages. »
Cette question qui met clairement dans son viseur les annonces postées par les particuliers sur Leboncoin, sous-tend plusieurs questions : Face à la montée en charge du poids des annonces sur Leboncoin, le secteur de l'immobilier se retrouve, comme le tourisme dans une certaine mesure, quasi obligé d'en passer par un tiers pour relayer ses annonces. Ces tiers qui ont bien compris tout l'enjeu de la guerre à la visibilité engagée par les agences, font monter la note de façon unilatérale. Les professionnels paient (sur Leboncoin, Seloger.com et autres sites) tandis que les particuliers ne paient pas. Autre point : les transactions entre particuliers échappent aux honoraires d'un intermédiaire et à la TVA liée. Ceci est et à toujours été puisqu'en effet, aucune obligation ne pèse sur un particulier d'en passer par une agence immobilière pour vendre un bien. Une situation que certaines agences souhaiteraient bien voir changer, tandis que d'autres refusent !
La réponse des pros face à l'hégémonie des sites d'annonces
Le 5 janvier, lors d'une conférence de presse, Laurent Vimont, président directeur général du réseau Century21 réagissait sur le sujet : « Nous alimentons les sites avec des annonces qui ont une valeur. Pourquoi est-ce à nous, en plus, de payer pour être publiés ? Il est temps de prendre notre destin en main ». Cette réaction est semble -t-il loin d'être un cas isolé. En effet, depuis quelques temps de façon encore officieuse mais plusieurs fois reprise dans les médias (site de BFMTV le 19 décembre, édition du journal Le Monde du 7 janvier), la profession réfléchit à une parade. Cette réflexion conjointe est menée par plusieurs réseaux (Century 21, Laforêt, Guy Hoquet, ERA, Orpi) et syndicats (Fnaim et SNPI). Elle vise à créer un site unitaire de petites annonces ouvert aux agences immobilières, et géré par les agences immobilières.
Si ce projet semble sans conteste la voie à suivre, il est d'ores et déjà marqué par le sceau de la complexité. En effet, et comme l'expliquait le 23 décembre dernier Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers dans un billet paru sur le site du magazine Capital, l'idée d'une mise en commun d'un fichier d'annonces se heurte à plusieurs obstacles de taille. Le premier tient bien évidemment au fait que chaque réseau d'agences mise en premier lieu sur son site propre et ne veut pas forcément « partager » sa visibilité avec ses concurrents. Chacun restant dans son pré carré, la seule solution qui a réussi à fédérer les différentes annonces des différents réseaux a été le tiers éditeur, autrement dit Seloger.com, Leboncoin.fr, etc. « Ces sites d'éditeurs se sont substitués à la profession pour unir la profession, en tout cas au moment de rassembler les annonces dans des vitrines collectives. » Le second écueil à la mise en commun des annonces tient selon Henry Buzy-Cazaux « à la faible proportion de mandats exclusifs ».
Or, lorsqu'un bien est en vente dans plusieurs agences, cela génère forcément des annonces distinctes, et souvent des prix distincts. De quoi brouiller le message côté internautes, et aviver la suspicion (Pourquoi telle agence est plus chère ? Quel est le véritable prix du bien ? Etc). Un problème que les grands réseaux et les syndicats ont tenté de résoudre en créant en 2009 l'AMEPI, l'association des mandats exclusifs des professionnels immobiliers. Mais cela n'a semble-t-il guère convaincu les réseaux. L'initiative ne « rassemble que 10% des agents immobiliers du pays, et peut-être 20 ou 25% des mandats exclusifs effectivement détenus en France. Le chemin est encore long pour convaincre l'opinion d'une part, les professionnels d'autre part, des vertus du mandat exclusif, à savoir de la confiance faite à un seul agent immobilier pour parvenir à la vente. »
Les réponses des pros à l'obligation de médiation
A la mi décembre, Philippe Buyens, directeur général délégué de CapiFrance, expliquait dans un communiqué de presse la position de son réseau : « Il faut rappeler que les systèmes qui organisent et facilitent les transactions de gré à gré, existaient bien avant la création du site Leboncoin. Avant il s'agissait d'annonces dans la presse. Le site Leboncoin est simplement une évolution digitale de cette presse spécialisée. Et plutôt que de décrier cette solution de mise en relation, il faudrait réfléchir à imposer les transactions avec un intermédiaire professionnel. Cela permettrait certes des rentrées fiscales pour l'Etat mais cela sécuriserait également les ventes. En effet, il faut savoir que le nombre de contentieux est nettement plus élevé dans les transactions réalisées entre particuliers et puis les négociations sont moins efficaces et plus faibles. Les particuliers n'osent pas négocier le prix entre eux par contre ils le font volontiers avec un professionnel... ».
Et le Directeur Général Délégué de CapiFrance d'ajouter : « il s'agit simplement de s'inspirer de ce qui existe outre-manche et du coté de l'Europe du Nord, où les transactions avec les professionnels sont obligatoires ». Pour Philippe Buyens, « au-delà de tous les aspects positifs pour la profession, il y a un intérêt clair pour le consommateur puisque avec ce système, les honoraires des professionnels baissent. Il n'y a donc aucun surcoût pour le client. En outre l'obligation de passer par un intermédiaire laisse toujours le choix du professionnel. Il faudra dont être parmi les meilleurs pour s'assurer une clientèle. Et là l'avantage est énorme tant pour les particuliers que pour nous professionnels ».
A l'opposé, dans un point de vue publié par Les Echos le 9 janvier 2015, le président de la Fédération FNAIM, Jean-François Buet s'oppose à l'idée de monopole pour les agents immobiliers, évoquant « un embarras juridique dans la proposition faite par deux députés d’étudier l’obligation de recourir à un agent immobilier pour les ventes de logements. » Selon Jean-François Buet, « l'idée d'une obligation fait mauvais ménage avec les principes de la libre concurrence et du commerce. Comme le client doit pouvoir choisir son mandataire, il doit pouvoir choisir de s'en passer ».
En outre, Jean-François Buet se méfie « d'un danger lié au monopole : la paresse ». « Quand le législateur conduit vers vous le client, pourquoi mettriez-vous toute votre énergie et votre talent dans sa conquête ou dans sa fidélisation et même seulement dans sa satisfaction ? », s’interroge-t-il. Enfin, il considère qu’un monopole nuirait à la diversité de la profession, car les agents ajoutent aux transactions « la valeur qu'ils estiment pertinente, pour le prix qu'ils jugent opportun » et le consommateur effectue sa sélection. « La FNAIM adhère à un autre projet, au fond plus exigeant et plus ambitieux : faire aimer les agents immobiliers pour ce qu'ils sont et pour ce qu'ils donnent. Il y a plus de dignité et d'efficacité dans le mérite », conclut-il.