Comment faire évoluer son concept de franchise sans perdre son ADN ?
Retours d’expérience de Franprix, Jeff de Bruges et KFC
Dans l’univers du commerce, ce qui fonctionne aujourd’hui peut rapidement devenir obsolète. Faire évoluer son concept est un impératif qui, en franchise, incombe au franchiseur. Mais pour répondre aux attentes du marché tout en restant fidèle à son ADN, la marge de manœuvre est étroite. Faut-il suivre les tendances à tout prix ? Comment renouveler l’expérience client sans diluer son identité de marque ? Et surtout : comment embarquer les franchisés dans cette évolution ?
Lors du salon Franchise Expo Paris, à l’occasion d’un débat animé par Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine LSA, trois grandes enseignes – Franprix, KFC et Jeff de Bruges – ont partagé leur stratégie en matière d’évolution de concept. Un échange instructif sur les enjeux de l’innovation en réseau, entre vision long terme et adaptation continue.

Un concept qui n’évolue pas est un concept en sursis
Il fut un temps où l’on « changeait de concept tous les 7 sept ans », rappelle Yves Puget. Une sorte de règle implicite, longtemps suivie dans la grande distribution comme dans la restauration, qui servait de repère pour relancer l’attractivité d’une enseigne. La tendance s’oriente désormais vers une approche plus souple, plus progressive. Les ajustements se font au fil de l’eau, selon les besoins ou les signaux du terrain. Toutefois, cette logique cyclique n’a pas pour autant été complètement abandonnée.
« En réalité, on change en permanence », explique Béatrice Toupin, responsable communication et marketing digital de Jeff De Bruges. Elle évoque une évolution continue, tant sur le mobilier et le merchandising que sur l’offre de services.
« On a des [refontes] mineures qui se passent tous les cinq ans, et des majeures qui se font à peu près tous les dix ans », explique de son côté Nicolas Gabriel, responsable du développement chez KFC France. Il précise que ces jalons donnent un cadre en matière de refonte, mais l’adaptation de concept est en réalité plus diffuse, quasi organique, au gré des attentes clients, de l’évolution des usages ou encore des impératifs d’image.
Marc-Antoine Matton, directeur Merchandising & Concepts du réseau Franprix, partage le même constat d’évolution permanente. Il insiste néanmoins sur la nécessité de se ménager, à intervalles réguliers, des temps de réflexion collective avec toutes les parties prenantes : « Ça nécessite du temps qu'on n'a pas forcément au fil de l'eau. C'est le moment de réfléchir à quelque chose de plus vaste, de plus entreprenant pour l'ensemble des franchisés, des partenaires. »
Une évolution doit renforcer la promesse de marque
Derrière chaque concept, il y a une promesse consommateur. Une bonne évolution conceptuelle ne sert pas seulement l’image de la marque : elle doit améliorer l’expérience, clarifier l’offre, et provoquer l’envie.
Marc-Antoine Matton l’exprime parfaitement : « Les gens dépensent moins, ils viennent plus souvent chez nous, mais ils dépensent moins, ils font attention à leur budget, donc l’idée, c'était de leur redonner du plaisir. Et surtout de vraiment clarifier le parcours client. » Il évoque un exemple parlant : le saucisson, auparavant placé au milieu de la charcuterie, est désormais intégré à l’univers de l’apéritif, plus cohérent avec son usage réel.
Mais cette promesse ne s’adresse pas qu’au client final. Elle doit aussi résonner du côté des équipes en magasin, et en particulier des franchisés. Comme le rappelle Béatrice Toupin, un bon concept ne parle pas qu’au client : « Un concept magasin, c’est la partie visible côté consommateur, et puis c’est la partie côté commerçant. […] Dès lors que le franchisé trouve son compte, lui, en termes d’organisation de travail, de confort et, du côté consommateur, en termes de performance commerciale. Là, on a fait le job. »
L’art d’innover sans se renier
Faire évoluer un concept, ce n’est pas seulement moderniser son mobilier ou repenser un parcours client. C’est aussi – et surtout – incarner l’identité de marque, tant visuellement que dans l’expérience client. Une évolution réussie est celle qui renforce la marque, sans l’effacer.
Chez Jeff de Bruges, l’enjeu est de rester fidèle à une promesse claire : « On dit souvent, dans notre positionnement, qu'on se veut premium accessible. Il faut qu'on essaie, à travers le concept, qu'immédiatement, on comprenne cette notion de rapport qualité-prix », explique Béatrice Toupin. Pour elle, le concept, le design, les matériaux, l’agencement doivent subtilement incarner cette promesse.
Le concept est aussi le réceptacle des valeurs de l’enseigne. Jeff de Bruges y injecte par exemple sa dimension de producteur : « On a envie de dire à nos clients que nous sommes cacaoculteurs. Le concept a évolué depuis quelques années pour traduire ça aussi en magasin, parce qu’on n’a pas tout le temps le temps de raconter notre histoire. »
Même exigence de lisibilité chez KFC, avec le concept RED : « R pour Relevant, E pour Easy, D pour Distinctif », rappelle Nicolas Gabriel. L’idée ? Un concept au goût du jour, et surtout, immédiatement reconnaissable. « Il faut que ce soit visible, on a un gros bucket rouge avec la tête du colonel. Il faut que les gens se disent : là, c’est un restaurant KFC. »
La cohérence visuelle, l’atmosphère, les matériaux choisis… Tout doit évoquer l’univers de la marque sans artifice. « Quand un client rentre dans un magasin, si on ne lui dit pas où il est, il faut qu’immédiatement, il sache qu’il est chez KFC, chez Franprix ou chez Jeff de Bruges », résume avec justesse Béatrice Toupin.
Trois leviers pour piloter l’évolution de son concept
Derrière chaque évolution de concept réussie, il y a une méthode. Et surtout, une conviction : un concept n’est pas un objet marketing tombé du ciel, mais un levier stratégique nourri par l’expérience du terrain. Trois leviers apparaissent comme essentiels pour accompagner une évolution cohérente et pertinente.
Observer le marché et rester à l’écoute
Anticiper plutôt que subir : c’est l’un des marqueurs d’un concept qui reste pertinent dans la durée. Les enseignes performantes investissent dans une veille active, à la fois sur le terrain et via des outils spécialisés. Béatrice Toupin décrit une démarche multisectorielle, ancrée dans le réel : « On a une équipe spécialisée en marketing retail qui va sur le terrain, va regarder ce qui se passe dans les magasins. Que ce soit d'ailleurs dans notre activité chocolat, mais pas que. » Chez KFC, l’approche est plus structurée : le groupe international dispose d’outils internes et s’appuie sur des partenaires pour « comprendre les tendances du marché » et « mesurer les impacts » des décisions prises.
Cette démarche permet non seulement d’identifier les signaux faibles du marché, mais aussi de calibrer chaque évolution en fonction de son impact réel sur l’image, la fréquentation ou la rentabilité. Un levier stratégique trop souvent négligé… à tort.
Co-construire avec les franchisés
La réussite d’un nouveau concept repose d’abord sur l’adhésion du réseau et donc sur sa capacité à convaincre les partenaires franchisés. Chez Franprix, ce principe est appliqué dès la genèse : « On a embarqué tout de suite nos franchisés dans l’aventure, explique Marc-Antoine Matton. On leur a demandé : Que voulez-vous ? Comment voyez-vous Franprix demain ? Comment allons-nous faire évoluer ce concept ? » Résultat : un concept réellement adapté aux contraintes opérationnelles, et des franchisés plus enclins à investir. Pour lui, cette implication des franchisés est décisive : « Si, derrière, nos partenaires franchisés ne sont pas les premiers promoteurs de ce concept, ça fait flop ! »
Tester, mesurer, ajuster
L’expérimentation est le dernier maillon d’une évolution maîtrisée. Les trois enseignes s’accordent sur l’importance des magasins pilotes. Avant tout déploiement, les concepts sont éprouvés et soumis à des indicateurs de performance précis. « On va le mettre sur un premier restaurant et regarder comment il se comporte […]. Et ensuite, on va apprendre, on va continuer à le faire évoluer », explique Nicolas Gabriel. Chez Jeff de Bruges, même logique d’itération mesurée : « Quand on change un concept, on va le tester dans quelques magasins. Et si on voit que la performance est au rendez-vous et que le avant-après se traduit par une progression de 20 ou 30% du chiffre d’affaires, on sait que, là, on peut aller investir. »
Faire évoluer, sans s’égarer
En filigrane de cet échange, un constat s’impose : faire évoluer un concept, ce n’est pas une simple opération de relooking. C’est un exercice stratégique combinant marketing, contraintes opérationnelles et vision à long terme. Cette démarche permet de répondre efficacement à la fragmentation de la consommation, à l’hyper-concurrence et à l’exigence d’instantanéité qui redéfinissent les usages.
Pour un franchiseur, cela implique d’écouter, de tester, de co-construire… et surtout, de rester fidèle à la promesse originelle de sa marque. C’est à cette condition que l’évolution devient une consolidation, et non une dilution.
Envie d’approfondir ? Visionnez l’échange complet entre Franprix, KFC et Jeff de Bruges : retours d’expérience concrets, choix stratégiques, et coulisses de leurs évolutions de concept.