Relation franchisés / franchiseur : Les cycles de vie d'un réseau de franchise
Conséquences sur la relation franchiseur-franchisés
Si l'on en croit les experts en franchise, 70% des réseaux de franchise qui démarrent disparaissent dans les 3-5 ans. Comment expliquer ce phénomène ? Quels sont les moments critiques dans le développement d'un réseau ? Quels sont les éléments de rupture entre franchiseur et franchisé ? Pour répondre à ces questions, une chercheuse, Odile Chanut, a mené l'enquête. Instructif !
Odile Chanut est maitre de conférences spécialisée en marketing, distribution et droit à l'Université de la Méditerranée à Nice. Dans son étude « Cycle de vie et événements-ruptures d'un réseau de franchise : conséquences sur la relation franchiseur-franchisés » réalisée dans le cadre de la 16e Conférence Internationale de Management Stratégique, AIMS mai 2008 elle aborde des thèmes délicats mais oh combien intéressants pour comprendre le système de la franchise en profondeur.
Son étude s'appuie sur deux « techniques » : celle des cycles de vie qui offre une analyse linéaire dans le temps et celle des événements-ruptures qui traduisent la discontinuité dans les évolutions, les chocs et les remises en question. Comme le souligne Odile Chanut dans son introduction : « La théorie évolutionniste suggère que le temps comporte des continuités mais aussi des discontinuités, avec des opportunités et des changements de trajectoires.
L’évolution n’est donc pas forcément lente et graduelle, elle comporte des ruptures, des changements abrupts, des chocs. Aussi abordons-nous l’évolution de la relation entre franchiseur et franchisé à travers ces deux aspects : les évolutions naturelles ou « linéaires » des réseaux sont appréhendées à travers le concept commode de cycle de vie ; les discontinuités consistent en des « événements-ruptures » qui jalonnent la vie des réseaux et modifient la vision qu’ont les acteurs de la relation.
Si le concept de cycle de vie est largement utilisé en sciences de gestion, celui d’événement-rupture est plus novateur.. »
Les 5 cycles de vie « universels » selon Floyd et Fenwick
Pour mener son enquête, Odile Chanut s'appuie notamment sur une étude réalisée par Floyd et Fenwick en 1999. Cette étude propose « un modèle de développement de la franchise qui se veut universel » selon l'avis d'Odile Chanut. Cinq phases sont identifiées par les deux chercheurs :
*1/ Hatchling (éclosion) : cette première phase correspond à la période de la création d’un concept distinctif et de son test dans des points de vente pilotes ;
*2/ Nestling (oisillon) : cette seconde phase correspond à la période de la création de l’affaire. Le franchiseur a pour challenge principal de séduire les premiers franchisés et d’asseoir la confiance qu'ils inspirent. Les relations entre franchisés et leur franchiseur sont quasi d'ordre familial ;
*3/ Fledgling (oiseau qui a toutes ses plumes) : cette troisième phase est la plus critique. Elle correspond véritablement au lancement de la franchise. Le challenge du franchiseur lors de cette période est d'atteindre rapidement l'équilibre. Le recrutement d'un certain nombre de franchisés lui permet de « réaliser des économies d’échelle, générer du profit et consolider le système de franchise. » Cette phase est particulièrement critique puisqu'elle suppose une sélection rigoureuse des candidats alors que les bons profils sont rares mais aussi et surtout elle suppose le passage à une vitesse supérieure des structures de management et d'assistance aux franchisés.
*4/ Expansion (l’âge adulte) : cette quatrième phase se caractérise selon les auteurs de cette étude « par des structures et une organisation fonctionnelle, des procédures opératoires documentées et des procédures de recrutement rodées. » Si le développement est toujours d'actualité, les enjeux deviennent stratégiques pour « maintenir un positionnement compétitif pour consolider voire gagner des parts de marché, faire des gains de productivité. » A plus ou moins brève échéance, l'ampleur du réseau joue en sa défaveur. Le développement plafonne et le déclin guette. A mesure que le réseau se développe géographiquement, les coûts augmentent. Les franchisés « tendent vers plus d’autonomie ». Certains partent à la concurrence.
*5/ Internationalisation : cette dernière phase est citée par Floyd et Fenwick mais sans plus de commentaires.
Comme le souligne Odile Chanut, la nomenclature Floyd et Fenwick montre ses limites :« le cycle présenté s’arrête à l’âge adulte, estimé entre 11 et 15 ans de franchise. Or bon nombre de réseaux atteignent des âges bien plus avancés et connaissent des challenges et problématiques de management tout autres. Il convient de prolonger l’analyse au-delà de 15 ans. »
Les 4 cycles de vie selon l'étude d'Odile Chanut
Pour obtenir des résultats fiables, Odile Chanut a mené 19 études de cas de réseaux de franchise « choisis à deux stades de développement, la croissance et la maturité, de manière à pouvoir reconstituer le processus d’évolution des réseaux. » Au total 39 entretiens semi-directifs ont été menés, représentant 75 heures d’enregistrement. Le dépouillement des résultats a permis à la chercheuse de mettre en évidence quatre phases du cycle de vie d’un réseau de franchise : la phase de décollage, la phase de croissance, la phase de maturité et la phase de relance après déclin.
* La phase de décollage : Avec peu de franchisés, les structures du franchiseur sont légères. La principale préoccupation du franchiseur est de convaincre les franchisés de rejoindre le réseau, un exercice rendu délicat puisque, à ce stade, ce sont les franchisés qui prennent le plus de risques. Sachant cela, la sélectivité est moindre. Le nombre des franchisés étant restreint, l'ambiance est quasi familiale.
La confiance est au cœur du processus de recrutement. Le créateur du concept entretient des relations unipersonnelles avec ses premiers franchisés. Les franchisés sont de fait, fortement impliqués dans la construction du réseau. Le risque pour le franchiseur à ce stade est de voir son concept plagié par un franchisé indélicat.
*La phase de croissance du réseau. : La deuxième phase, celle de la croissance, est caractérisée par l’accélération de la duplication des points de vente. Cette accélération provoque une crise de direction. Le réseau doit renforcer ses équipes pour faire face au surcroit d'activité. Le réseau change alors de physionomie. Avec l'arrivée de nombreux nouveaux franchisés, les moyens à disposition sont plus conséquents.
La relation entre franchisés et franchiseur change. « Les points délicats sont le partage du pouvoir avec des équipes de salariés qui doivent être compétentes et la « construction » d’une confiance organisationnelle. La nature de la relation évolue et tend à être moins personnelle. » En d'autres termes, si le créateur conserve son charisme, il s'éloigne de sa base. Logiquement, la renommée de l'enseigne multiplie les candidatures. Le profil des nouveaux franchisés change : « leur niveau d’acceptation du risque est moindre, ils sont attirés par un système de franchise qui a montré sa capacité à « faire réussir » les franchisés. De ce fait, ils supportent un droit d’entrée supérieur à celui payé par les premiers franchisés et appliquent le savoir-faire sans guère le discuter. »
Selon les constatations d'Odile Chanut, la réussite d'un concept attise la concurrence. Avec l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, l'enjeu pour le réseau est d'accélérer encore la vitesse de duplication des points de vente. Cette accélération du rythme de croissance passe chez certains réseaux par la multifranchise « pour accélérer la vitesse de développement de nouveaux points de vente tout en limitant le risque et les coûts du recrutement : ils proposent à des franchisés expérimentés d’ouvrir et de gérer plusieurs points de vente ». C
e recours à la multifranchise n'est pas systématique car il porte en lui des effets pouvant être gênants : le multifranchisé devient à son tour un succursaliste. Il n'est plus si impliqué dans ses commerces comme avant. Des « baronnies » peuvent se créer et perturber l'équilibre du réseau.
*La phase de maturité du réseau : Selon Odile Chanut, « la phase de maturité est caractérisée par un ralentissement de la croissance du nombre de points de vente de l’enseigne dû à un maillage territorial dense, sinon complet ». Cette phase débute généralement après 20 ans d'existence. Leader ou co-leader dans son secteur d'activité, l'enseigne doit pour maintenir sa position maximiser le chiffre d'affaires de chacun de ses points de vente. « La croissance est plus qualitative que quantitative. Cela se traduit par un style de management plus directif. » Comme le note Odile Chanut : « On observe toutefois d’autres stratégies de croissance : l’expansion à l’international parfois, mais aussi la création de nouvelles enseignes pour continuer à grandir, soit dans le même secteur d’activité (avec un concept distinctif différent), soit dans une activité connexe, complémentaire ».
La relation entre franchisés et franchiseur se base de plus en plus sur l'efficience et non plus sur l'affectif. L'âge du réseau implique un nécessaire renouvellement des franchisés les plus anciens partant à la retraite. « La sélection des franchisés est plus sévère, les coûts d’accès plus élevés entraînant une obligation de rentabilité supérieure. »
*La phase de relance du réseau (après déclin) : Selon Odile Chanut, « la phase de déclin d’un réseau de franchise est caractérisée par la stagnation puis la baisse du nombre de points de vente. » Le déclin peut être consécutif d'un concept obsolète et devenu moins concurrentiel, mais aussi d'une période de crise organisationnelle interne, une rébellion des franchisés face à un concept trop figé... La phase de déclin peut intervenir à toutes les étapes du cycle de vie. Pour contrer le déclin, la relance s'organise autour d'un changement de propriétaire ou encore d'un changement d'enseigne. Dans les deux cas, le concept est renouvelé. Les anciens franchisés doivent s'adapter. Les nouveaux eux doivent être séduits par le nouveau concept.
Les 4 événements-ruptures repérés par l'étude d'Odile Chanut
L'étude d'Odile Chanut a repéré « quatre changements dans la vie des réseaux constituant une rupture dans la vision de la relation, réelle ou perçue comme telle par les acteurs. »
Ces quatre événements-ruptures sont :
* Les changements de périmètre du réseau : Ils interviennent lors d'un rachat d'un réseau concurrent. La fusion entre les deux réseaux implique une adaptation du franchiseur mais aussi et surtout des franchisés. « La croissance externe d’un réseau de franchise signifie l’intégration brutale de nouveaux points de vente, succursalistes ou franchisés du réseau absorbé. » L'absorption implique souvent des doublons localement qu'il faut arbitrer. Cet arbitrage est souvent rendu délicat. L'absorption implique également des « changements dans le rapport de force, notamment lorsque la fusion perturbe l’équilibre entre les points de vente franchisés et les points de vente succursalistes. » Les chocs de culture entre les réseaux mixtes et les réseaux exclusivement en franchise peuvent être déstabilisants. Les franchisés ont aussi l'impression de « moins compter » mais dans le même temps, ils bénéficient d'un regain de notoriété de leur réseau.
* Les changements de stratégie quant au statut des points de vente du réseau : « La question de la mixité et de l’équilibre entre les points de vente franchisés et les points de vente succursalistes est récurrente dans les réseaux » précise Odile Chanut. Cette mixité implique une modification des rapports de force. Si dans un réseau de franchise pure, les franchisés ont le pouvoir, dans un réseau mixte, le franchiseur peut plus facilement imposer sa volonté. Au gré des rachats des points de vente par le franchiseur, l'équilibre peut être modifié en profondeur.
* Le changement de propriétaire de l’entreprise franchiseur : Le franchiseur n'a aucunement besoin de recueillir l'agrément de ses franchisés pour vendre son réseau. Selon l'état de santé du réseau, le changement de direction peut être ressenti comme un bien (réseau en déclin, stratégie hésitante) ou un mal (rachat par un groupe concurrent). Le sentiment d'inquiétude ou d'espoir des franchisés dépend en grande partie aussi du profil du repreneur et du profil du vendeur. Ainsi, lorsque le changement de propriétaire s'effectue au départ en retraite du créateur-fondateur, les difficultés sont souvent plus importantes puisqu'à l'aspect purement organisationnel s'ajoute l'aspect affectif.
Lorsque le changement de propriétaire s'effectue au bénéfice d'un groupe concurrent ou non (rachat, fusion, absorption), les franchisés peuvent craindre pour leur devenir. La « financiarisation » des rachats par des fonds de pension ou des investisseurs est de plus en plus une réalité en franchise. Selon les cas, « le changement de propriétaire peut être vécue comme un espoir, une occasion de trouver un nouvel élan (...) Les franchisés anticipent qu’elle sera suivie par la définition d’une nouvelle stratégie pour l’enseigne, susceptible de faire retrouver la voie de la croissance.
Mais elle est plus souvent un événement qui inquiète les franchisés. La première menace perçue est liée à l’incertitude sur les intentions des nouveaux propriétaires. »
* Les changements de concepts et de positionnement de la marque-enseigne : Pour rester dans la course, les concepts doivent être évolutifs. « Le changement de concept est souvent l’occasion de friction entre un franchiseur et ses franchisés, car il est décidé par le franchiseur mais implique des investissements dans les points de vente qui sont à la charge du franchisé ». Selon les stratégies, les changements peuvent intervenir plus ou moins en douceur. Les franchisés peuvent se laisser persuader du bien fondé du changement mais ils peuvent aussi faire de la résistance faute de moyens ou d'envie.
Selon les observations d'Odile Chanut, « ces événements-ruptures peuvent intervenir séparément ou être liés entre eux : un changement de périmètre du réseau peut entraîner un changement de stratégie par rapport à la mixité, parce que le réseau absorbé est partiellement succursaliste. Un changement de propriétaire ou d’équipe dirigeante peut induire une modification de la mixité ou un nouveau concept, etc. » Deux événements-ruptures dominent : le changement de périmètre du réseau par les fusions-acquisitions et le changement de propriétaires par la cession de la société franchiseur.
Les recommandations manageriales
Face aux changements liés aux phases de développement (cycle de vie) et aux événements-ruptures, les franchiseurs se doivent d'adapter leur process de pilotage pour mieux limiter les sources d'inquiétudes des franchisés. Selon Odile Chanut, « trois recommandations générales peuvent être formulées pour emporter l’adhésion ». La première est d'accroitre la satisfaction des franchisés en tant que membres du réseau (avantage concurrentiel, différentiel de savoir-faire). La deuxième est de développer le dialogue entre les franchisés et le franchiseur mais aussi entre franchisés. La troisième est de prendre en considération l'intérêt mutuel du réseau et de chaque franchisé.
Dominique, Journaliste toute-la-franchise©
Odile Chanut est maitre de conférences spécialisée en marketing, distribution et droit à l'Université de la Méditerranée à Nice. Dans son étude « Cycle de vie et événements-ruptures d'un réseau de franchise : conséquences sur la relation franchiseur-franchisés » réalisée dans le cadre de la 16e Conférence Internationale de Management Stratégique, AIMS mai 2008 elle aborde des thèmes délicats mais oh combien intéressants pour comprendre le système de la franchise en profondeur.
Son étude s'appuie sur deux « techniques » : celle des cycles de vie qui offre une analyse linéaire dans le temps et celle des événements-ruptures qui traduisent la discontinuité dans les évolutions, les chocs et les remises en question. Comme le souligne Odile Chanut dans son introduction : « La théorie évolutionniste suggère que le temps comporte des continuités mais aussi des discontinuités, avec des opportunités et des changements de trajectoires.
L’évolution n’est donc pas forcément lente et graduelle, elle comporte des ruptures, des changements abrupts, des chocs. Aussi abordons-nous l’évolution de la relation entre franchiseur et franchisé à travers ces deux aspects : les évolutions naturelles ou « linéaires » des réseaux sont appréhendées à travers le concept commode de cycle de vie ; les discontinuités consistent en des « événements-ruptures » qui jalonnent la vie des réseaux et modifient la vision qu’ont les acteurs de la relation.
Si le concept de cycle de vie est largement utilisé en sciences de gestion, celui d’événement-rupture est plus novateur.. »
Les 5 cycles de vie « universels » selon Floyd et Fenwick
Pour mener son enquête, Odile Chanut s'appuie notamment sur une étude réalisée par Floyd et Fenwick en 1999. Cette étude propose « un modèle de développement de la franchise qui se veut universel » selon l'avis d'Odile Chanut. Cinq phases sont identifiées par les deux chercheurs :
*1/ Hatchling (éclosion) : cette première phase correspond à la période de la création d’un concept distinctif et de son test dans des points de vente pilotes ;
*2/ Nestling (oisillon) : cette seconde phase correspond à la période de la création de l’affaire. Le franchiseur a pour challenge principal de séduire les premiers franchisés et d’asseoir la confiance qu'ils inspirent. Les relations entre franchisés et leur franchiseur sont quasi d'ordre familial ;
*3/ Fledgling (oiseau qui a toutes ses plumes) : cette troisième phase est la plus critique. Elle correspond véritablement au lancement de la franchise. Le challenge du franchiseur lors de cette période est d'atteindre rapidement l'équilibre. Le recrutement d'un certain nombre de franchisés lui permet de « réaliser des économies d’échelle, générer du profit et consolider le système de franchise. » Cette phase est particulièrement critique puisqu'elle suppose une sélection rigoureuse des candidats alors que les bons profils sont rares mais aussi et surtout elle suppose le passage à une vitesse supérieure des structures de management et d'assistance aux franchisés.
*4/ Expansion (l’âge adulte) : cette quatrième phase se caractérise selon les auteurs de cette étude « par des structures et une organisation fonctionnelle, des procédures opératoires documentées et des procédures de recrutement rodées. » Si le développement est toujours d'actualité, les enjeux deviennent stratégiques pour « maintenir un positionnement compétitif pour consolider voire gagner des parts de marché, faire des gains de productivité. » A plus ou moins brève échéance, l'ampleur du réseau joue en sa défaveur. Le développement plafonne et le déclin guette. A mesure que le réseau se développe géographiquement, les coûts augmentent. Les franchisés « tendent vers plus d’autonomie ». Certains partent à la concurrence.
*5/ Internationalisation : cette dernière phase est citée par Floyd et Fenwick mais sans plus de commentaires.
Comme le souligne Odile Chanut, la nomenclature Floyd et Fenwick montre ses limites :« le cycle présenté s’arrête à l’âge adulte, estimé entre 11 et 15 ans de franchise. Or bon nombre de réseaux atteignent des âges bien plus avancés et connaissent des challenges et problématiques de management tout autres. Il convient de prolonger l’analyse au-delà de 15 ans. »
Les 4 cycles de vie selon l'étude d'Odile Chanut
Pour obtenir des résultats fiables, Odile Chanut a mené 19 études de cas de réseaux de franchise « choisis à deux stades de développement, la croissance et la maturité, de manière à pouvoir reconstituer le processus d’évolution des réseaux. » Au total 39 entretiens semi-directifs ont été menés, représentant 75 heures d’enregistrement. Le dépouillement des résultats a permis à la chercheuse de mettre en évidence quatre phases du cycle de vie d’un réseau de franchise : la phase de décollage, la phase de croissance, la phase de maturité et la phase de relance après déclin.
* La phase de décollage : Avec peu de franchisés, les structures du franchiseur sont légères. La principale préoccupation du franchiseur est de convaincre les franchisés de rejoindre le réseau, un exercice rendu délicat puisque, à ce stade, ce sont les franchisés qui prennent le plus de risques. Sachant cela, la sélectivité est moindre. Le nombre des franchisés étant restreint, l'ambiance est quasi familiale.
La confiance est au cœur du processus de recrutement. Le créateur du concept entretient des relations unipersonnelles avec ses premiers franchisés. Les franchisés sont de fait, fortement impliqués dans la construction du réseau. Le risque pour le franchiseur à ce stade est de voir son concept plagié par un franchisé indélicat.
*La phase de croissance du réseau. : La deuxième phase, celle de la croissance, est caractérisée par l’accélération de la duplication des points de vente. Cette accélération provoque une crise de direction. Le réseau doit renforcer ses équipes pour faire face au surcroit d'activité. Le réseau change alors de physionomie. Avec l'arrivée de nombreux nouveaux franchisés, les moyens à disposition sont plus conséquents.
La relation entre franchisés et franchiseur change. « Les points délicats sont le partage du pouvoir avec des équipes de salariés qui doivent être compétentes et la « construction » d’une confiance organisationnelle. La nature de la relation évolue et tend à être moins personnelle. » En d'autres termes, si le créateur conserve son charisme, il s'éloigne de sa base. Logiquement, la renommée de l'enseigne multiplie les candidatures. Le profil des nouveaux franchisés change : « leur niveau d’acceptation du risque est moindre, ils sont attirés par un système de franchise qui a montré sa capacité à « faire réussir » les franchisés. De ce fait, ils supportent un droit d’entrée supérieur à celui payé par les premiers franchisés et appliquent le savoir-faire sans guère le discuter. »
Selon les constatations d'Odile Chanut, la réussite d'un concept attise la concurrence. Avec l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché, l'enjeu pour le réseau est d'accélérer encore la vitesse de duplication des points de vente. Cette accélération du rythme de croissance passe chez certains réseaux par la multifranchise « pour accélérer la vitesse de développement de nouveaux points de vente tout en limitant le risque et les coûts du recrutement : ils proposent à des franchisés expérimentés d’ouvrir et de gérer plusieurs points de vente ». C
e recours à la multifranchise n'est pas systématique car il porte en lui des effets pouvant être gênants : le multifranchisé devient à son tour un succursaliste. Il n'est plus si impliqué dans ses commerces comme avant. Des « baronnies » peuvent se créer et perturber l'équilibre du réseau.
*La phase de maturité du réseau : Selon Odile Chanut, « la phase de maturité est caractérisée par un ralentissement de la croissance du nombre de points de vente de l’enseigne dû à un maillage territorial dense, sinon complet ». Cette phase débute généralement après 20 ans d'existence. Leader ou co-leader dans son secteur d'activité, l'enseigne doit pour maintenir sa position maximiser le chiffre d'affaires de chacun de ses points de vente. « La croissance est plus qualitative que quantitative. Cela se traduit par un style de management plus directif. » Comme le note Odile Chanut : « On observe toutefois d’autres stratégies de croissance : l’expansion à l’international parfois, mais aussi la création de nouvelles enseignes pour continuer à grandir, soit dans le même secteur d’activité (avec un concept distinctif différent), soit dans une activité connexe, complémentaire ».
La relation entre franchisés et franchiseur se base de plus en plus sur l'efficience et non plus sur l'affectif. L'âge du réseau implique un nécessaire renouvellement des franchisés les plus anciens partant à la retraite. « La sélection des franchisés est plus sévère, les coûts d’accès plus élevés entraînant une obligation de rentabilité supérieure. »
*La phase de relance du réseau (après déclin) : Selon Odile Chanut, « la phase de déclin d’un réseau de franchise est caractérisée par la stagnation puis la baisse du nombre de points de vente. » Le déclin peut être consécutif d'un concept obsolète et devenu moins concurrentiel, mais aussi d'une période de crise organisationnelle interne, une rébellion des franchisés face à un concept trop figé... La phase de déclin peut intervenir à toutes les étapes du cycle de vie. Pour contrer le déclin, la relance s'organise autour d'un changement de propriétaire ou encore d'un changement d'enseigne. Dans les deux cas, le concept est renouvelé. Les anciens franchisés doivent s'adapter. Les nouveaux eux doivent être séduits par le nouveau concept.
Les 4 événements-ruptures repérés par l'étude d'Odile Chanut
L'étude d'Odile Chanut a repéré « quatre changements dans la vie des réseaux constituant une rupture dans la vision de la relation, réelle ou perçue comme telle par les acteurs. »
Ces quatre événements-ruptures sont :
* Les changements de périmètre du réseau : Ils interviennent lors d'un rachat d'un réseau concurrent. La fusion entre les deux réseaux implique une adaptation du franchiseur mais aussi et surtout des franchisés. « La croissance externe d’un réseau de franchise signifie l’intégration brutale de nouveaux points de vente, succursalistes ou franchisés du réseau absorbé. » L'absorption implique souvent des doublons localement qu'il faut arbitrer. Cet arbitrage est souvent rendu délicat. L'absorption implique également des « changements dans le rapport de force, notamment lorsque la fusion perturbe l’équilibre entre les points de vente franchisés et les points de vente succursalistes. » Les chocs de culture entre les réseaux mixtes et les réseaux exclusivement en franchise peuvent être déstabilisants. Les franchisés ont aussi l'impression de « moins compter » mais dans le même temps, ils bénéficient d'un regain de notoriété de leur réseau.
* Les changements de stratégie quant au statut des points de vente du réseau : « La question de la mixité et de l’équilibre entre les points de vente franchisés et les points de vente succursalistes est récurrente dans les réseaux » précise Odile Chanut. Cette mixité implique une modification des rapports de force. Si dans un réseau de franchise pure, les franchisés ont le pouvoir, dans un réseau mixte, le franchiseur peut plus facilement imposer sa volonté. Au gré des rachats des points de vente par le franchiseur, l'équilibre peut être modifié en profondeur.
* Le changement de propriétaire de l’entreprise franchiseur : Le franchiseur n'a aucunement besoin de recueillir l'agrément de ses franchisés pour vendre son réseau. Selon l'état de santé du réseau, le changement de direction peut être ressenti comme un bien (réseau en déclin, stratégie hésitante) ou un mal (rachat par un groupe concurrent). Le sentiment d'inquiétude ou d'espoir des franchisés dépend en grande partie aussi du profil du repreneur et du profil du vendeur. Ainsi, lorsque le changement de propriétaire s'effectue au départ en retraite du créateur-fondateur, les difficultés sont souvent plus importantes puisqu'à l'aspect purement organisationnel s'ajoute l'aspect affectif.
Lorsque le changement de propriétaire s'effectue au bénéfice d'un groupe concurrent ou non (rachat, fusion, absorption), les franchisés peuvent craindre pour leur devenir. La « financiarisation » des rachats par des fonds de pension ou des investisseurs est de plus en plus une réalité en franchise. Selon les cas, « le changement de propriétaire peut être vécue comme un espoir, une occasion de trouver un nouvel élan (...) Les franchisés anticipent qu’elle sera suivie par la définition d’une nouvelle stratégie pour l’enseigne, susceptible de faire retrouver la voie de la croissance.
Mais elle est plus souvent un événement qui inquiète les franchisés. La première menace perçue est liée à l’incertitude sur les intentions des nouveaux propriétaires. »
* Les changements de concepts et de positionnement de la marque-enseigne : Pour rester dans la course, les concepts doivent être évolutifs. « Le changement de concept est souvent l’occasion de friction entre un franchiseur et ses franchisés, car il est décidé par le franchiseur mais implique des investissements dans les points de vente qui sont à la charge du franchisé ». Selon les stratégies, les changements peuvent intervenir plus ou moins en douceur. Les franchisés peuvent se laisser persuader du bien fondé du changement mais ils peuvent aussi faire de la résistance faute de moyens ou d'envie.
Selon les observations d'Odile Chanut, « ces événements-ruptures peuvent intervenir séparément ou être liés entre eux : un changement de périmètre du réseau peut entraîner un changement de stratégie par rapport à la mixité, parce que le réseau absorbé est partiellement succursaliste. Un changement de propriétaire ou d’équipe dirigeante peut induire une modification de la mixité ou un nouveau concept, etc. » Deux événements-ruptures dominent : le changement de périmètre du réseau par les fusions-acquisitions et le changement de propriétaires par la cession de la société franchiseur.
Les recommandations manageriales
Face aux changements liés aux phases de développement (cycle de vie) et aux événements-ruptures, les franchiseurs se doivent d'adapter leur process de pilotage pour mieux limiter les sources d'inquiétudes des franchisés. Selon Odile Chanut, « trois recommandations générales peuvent être formulées pour emporter l’adhésion ». La première est d'accroitre la satisfaction des franchisés en tant que membres du réseau (avantage concurrentiel, différentiel de savoir-faire). La deuxième est de développer le dialogue entre les franchisés et le franchiseur mais aussi entre franchisés. La troisième est de prendre en considération l'intérêt mutuel du réseau et de chaque franchisé.
Dominique, Journaliste toute-la-franchise©