La vacance commerciale progresse de nouveau en centre-ville
Le phénomène est révélateur de nouvelles dynamiques
Lors d'une conférence de presse en date du 24 juin 2015, la fédération des enseignes du commerce spécialisé Procos a fait le point sur les chiffres de la vacance commerciale en 2014.
Chaque année, l'Observatoire de la vacance commerciale Procos analyse le taux d'occupation des cellules commerciales de quelque 200 centres-villes appartenant à des unités urbaines de plus de 50.000 habitants. « L’étude a consisté, pour chaque site, à comparer l’occupation des cellules commerciales (situées en rez-de-chaussée d’immeubles et en galerie de centre commercial de centre-ville), en 2013 et en 2014, à partir de relevés sur plan cadastraux (sources Codata retraitées par Procos). »
De ce croisement d'informations ressort un constat : la vacance commerciale en centre-ville a connu une nouvelle progression en 2014 pour atteindre en moyenne 8,5% de leur parc de locaux commerciaux. « Elle s’élevait à 7,8% en 2013 et à 7,2% en 2012 ». Globalement selon Procos, les 40 villes (soit 20% des centres villes observés) qui étaient en 2013 en situation très favorable c'est-à-dire avec un taux de vacance inférieur à 5% « ne sont plus que 22 dans ce cas en 2014, soit près de deux fois moins ». De même, les 45 centres-villes qui présentaient une situation très défavorable en 2013 (+ de 10% de taux de vacance) ont été rejoints par 20 nouvelles en 2014, soit 65 au total dans ce cas (un tiers des centres-villes observés).
Les métropoles et les villes touristiques font de la résistance
La progression du phénomène de vacance commerciale concerne globalement toutes les villes mais avec des différences marquées en fonction de leur population et de leur situation. Ainsi, selon Procos, les centres-villes de petites villes (les agglomérations urbaines de moins de 100.000 habitants), restent les plus affectés par le phénomène de la vacance commerciale avec un taux de locaux vides « de 9,3% pour les agglomérations de moins de 50.000 habitants et de 10,2% pour les agglomérations de 50.000 à 100.000 habitants ». De leur côté, les centres-villes de villes moyennes « sont également affectés mais dans une moindre mesure ». Ils affichent en effet des taux de vacance commerciale de 8,7% pour les agglomérations de 100.000 à 250.000 habitants. Ceci étant, comme le souligne Procos, ces centres-villes de villes moyennes voient leur taux de vacance progresser plus rapidement qu’ailleurs (+ 2,1 points entre 2013 et 2014).
« Seuls les centres-villes de grandes métropoles apparaissent relativement épargnés par le phénomène (avec un taux de vacance commerciale de 7% pour les agglomérations de 250.000 à 500.000 habitants et de 6,8% pour les agglomérations de plus de 500.000 habitants). » Ces quelques chiffres démontrent globalement que les métropoles résistent davantage à la vacance commerciale « parce qu’elles offrent à leur commerce, de par la concentration de leurs activités et la qualité de leurs infrastructures de transport, des débouchés plus que proportionnels à leur poids de population. »
Outre l'effet d'agglomération, « l’origine de la richesse économique des villes influe également sur l’intensité du phénomène. » Ainsi, les centres-villes où le taux de vacance est resté inférieur à 5% depuis 2001, se situent principalement « parmi les villes tirant la part la plus élevée de leurs revenus d’activités productives dans les secteurs primaires de l’agriculture et de l’industrie (à l’exemple d’Angers, Beaune, Nantes) et/ou touristique (à l’exemple de Biarritz, Saint-Malo, La Rochelle, Aix-en-Provence). » A contrario, les centres-villes les plus en difficulté, autrement dit ceux qui affichent un taux de vacance supérieur à 10% depuis 2001 comme Carcassonne, Châtellerault, Guéret, Nevers, Romans, Vierzon… et les centres villes dont le taux de vacance a rejoint et dépassé les 10% depuis 2001 (comme Alençon, Autun, Bourges, Calais, Forbach, Orange, Saint-Quentin-en-Picardie, Sarreguemines…) se situent principalement « parmi les villes tirant la part la plus élevée de leurs revenus de transferts publics (pensions de retraite, transferts sociaux, salaires de la fonction publique). »
Les raisons de la vacance
Selon l'analyse de Procos, l’origine de la vacance commerciale résulte de multiples facteurs.
« Sur longue période, celle-ci résulte principalement de l’évolution du peuplement et de l’évolution du modèle de croissance des entreprises de commerce. » Dans le détail, Procos explique que dans les années 1920, la France a atteint l'apogée de son parc de magasins. « En moins d’un siècle, la France perd près de la moitié de ses commerces (elle en compte environ 850.000 aujourd’hui) alors que sa population croît dans le même temps de 50%. » Parallèlement, l'exode rural vide les campagnes et peuple les villes. Les populations déplacées sont de plus en plus concentrées, et pour répondre à cette concentration, « à partir des années 1950-1960 de nouvelles formes de vente discount (hypermarchés, supermarchés, moyennes surfaces spécialisées) et des chaînes de grande distribution (réseaux succursalistes, de franchises, etc.) » voient le jour. Ces nouvelles formes de commerces accélèrent encore le phénomène de la vacance commerciale qui « touche alors en majorité les territoires ruraux. »
S'ajoute à cette lame de fond un phénomène plus récent : celui de la baisse de rentabilité des surfaces commerciales. Cette baisse de rentabilité résulte « d’un découplage entre la dynamique du marché de l’immobilier de commerce et celle du marché de la consommation. » Dans le détail explique Procos, depuis une vingtaine d’années en France, le parc de surfaces commerciales croît à un rythme plus soutenu (+ 2,8% par an, passant de 48 millions à 77 millions de m2 entre 1992 et 2009) que celui de la consommation (+ 1,8% par an). Dans le même temps, « la performance des magasins a stagné (leur rendement moyen, mesuré par le rapport de leur chiffre d’affaires à leur surface de vente a même légèrement diminué de 0,1% par an, passant de 4.628 €/m²/an en 1992 à 4.534 €/m²/an en 2009) ». Cette baisse a une principale explication : la hausse des coûts d’occupation (+ 2,4% par an du seul fait des mécanismes d’indexation des loyers). « Ainsi, la vacance progresse aussi parce que les commerçants paient des locaux commerciaux plus chers et moins profitables… »
Le dernier facteur qui joue en faveur d'une hausse de la vacance commerciale tient aux évolutions récentes de peuplement toujours plus d’urbains (85% des Français), mais vivant toujours plus éloignés des centres-villes ! « Ces urbains se répartissent approximativement à part égale entre les villes centres, leur première couronne et leur seconde couronne – celle du périurbain. Or, depuis une quinzaine d’années, la population de la deuxième couronne croit plus rapidement que les autres. Et c’est aussi dans cette seconde couronne qu’ouvre désormais la majorité des nouvelles surfaces commerciales en France. » Les pôles d'attractivité commerciale se déplacent donc, du centre-ville vers la grande périphérie.
Les enseignes, planches de salut de la vacance commerciale ?
Selon l'avis de Procos, les enseignes ont un rôle central pour endiguer la vacance commerciale des centres-villes. En effet, malgré le déplacement des populations et des pôles commerciaux vers la grande périphérie, « les enseignes du commerce spécialisé ne délaissent pas pour autant les centres-villes. » Pourquoi ? Tout d'abord parce que les enseignes ont les reins plus solides que les indépendants : « un réseau de distribution peut absorber plus facilement qu’un commerce indépendant une perte de chiffre d’affaires d’une partie de ses magasins (et donc un risque de vacance) soit en la consolidant « horizontalement », sur l’ensemble de son parc (les pertes des uns étant compensées par les gains des autres), soit en la compensant « verticalement », par les gains réalisés en amont dans la distribution, en particulier, au niveau de l’approvisionnement (massification des achats permettant de bénéficier de diminutions de prix auprès des fournisseurs) et de la logistique (rationalisation des opérations d’allotissement, de stockage, de transport et de livraison). » En second lieu, les enseignes revoient leurs concepts pour s'adapter aux nouvelles donnes. Les nouvelles stratégies des grandes enseignes vont vers des rayons plus compacts qui leurs permettent de préserver leur maillage territorial. « Les réseaux multi-enseignes apparaissent les plus agiles en la matière car ils disposent de plusieurs marges de manœuvre » parmi lesquelles la renégociation du bail, l'optimisation de l'assortiment, la substitution d'une enseigne par une autre de son portefeuille, etc.
Les élus locaux prennent l'initiative
Face à de plus en plus de boutiques fermées, les élus locaux réagissent en prenant la main. « Avec la progression de la vacance commerciale ressurgit la question de la redynamisation commerciale des centres villes. » Oui mais comment ? Les élus des collectivités locales suivent plusieurs stratégies. « Outre les leviers classiques de l’intervention publique en matière de renforcement de l’attraction des centres-villes (logement, transport, animation, stationnement, sécurité…) » les élus utilisent des outils dédiés visant plus spécifiquement à lutter contre la vacance commerciale. Quels sont ces outils ? Premièrement l'identification des causes de la vacance commerciale : « Certaines collectivités cherchent ainsi à mieux appréhender la vacance commerciale sur leur territoire (pas exclusivement celui du centre-ville) à travers la mise en place d’outils de mesure de l’occupation des cellules commerciales. » Ces audits de l'existant souvent réalisés par les chambres consulaires et les agences d’urbanisme « ont le mérite de diffuser une culture commune des problématiques du commerce entre acteurs publics et privés (propriétaires de locaux, agents immobiliers, commerçants…). » Une fois les causes identifiées, les communes peuvent plus facilement mettre en œuvre des actions concrètes pour endiguer le phénomène.
« Trois modes d’actions sont ici privilégiés » selon l'analyse de Procos. « Le premier, concerté, consiste pour la collectivité à faciliter le rapprochement de l’offre et de la demande en locaux commerciaux sur son territoire en créant une plateforme fédérant les offres des intermédiaires immobiliers vers laquelle elle oriente des preneurs (dont des enseignes) qu’elle aura prospecté. » Ce mode d'actions permet à la collectivité locale de prendre l'initiative et de « choisir » les futures enseignes qu'elle souhaiterait voir s'installer sur son territoire.
Le second mode d'intervention est plus directionnel et volontariste. Il passe par l'utilisation du droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux. « Régi par le Code de l’urbanisme, le droit de préemption permet à une collectivité territoriale de se substituer à l’acquéreur lors d’une transaction pour mener une opération d’aménagement ou de construction dans l’intérêt général. » Cette solution simple à mettre en place est toutefois peu utilisée car elle coûte cher à la collectivité locale.
Le troisième et dernier mode d'action est plus radical encore. Il consiste pour la collectivité à appliquer une taxe sur les friches commerciales. « Mise en place sur décision de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), cette taxe prévue à l’article 1.530 du code général des impôts est due pour les locaux qui ne sont plus affectés à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises (CFE) depuis au moins 2 ans et qui sont restés inoccupés au cours de cette période. » Ce mode d'action est à double tranchant car en effet, « il expose la collectivité au risque de décourager l’investissement immobilier sur son centre-ville et paradoxalement, de précipiter le phénomène contre lequel elle se propose de lutter… »