Faut-il craindre le droit de préemption sur les fonds de commerce ?
Faut-il craindre le droit de préemption sur les fonds de commerce ?
La loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises dite « loi Dutreil » a instauré un droit de préemption par les communes des fonds artisanaux, des fonds de commerce, des baux commerciaux et des terrains faisant l'objet de projets d'aménagement commercial, codifié aux articles L. 214-1 et suivant du code de l'urbanisme. Applicable depuis le 26 décembre 2007 ce droit de préemption est peu utilisé aujourd'hui. Environ 500 communes seulement, sur les 36 000 communes françaises, ont décidé de délimiter des zones de préemption sur leur territoire. Pourquoi un tel insuccès ? Quelques éléments de réponse.
Droit de préemption ?
Le droit de préemption est une institution dans notre pays. Les communes et plus généralement les organismes publics ont le droit de préempter un terrain, une maison ou encore un immeuble dès lors qu'un particulier manifeste sa volonté de le vendre. Le droit de préemption également appelé droit de préférence vaut pour tout ce qui est construit mais aussi pour les espaces naturels. Généralement, le droit de préemption est exercé par les communes dans un cadre bien précis d'utilité publique. L'achat prioritaire induit par le droit de préemption est souvent mené à des fins d'aménagements d'un quartier pour mieux créer une route, dégager un carrefour, créer ou agrandir un parking, etc. Il peut aussi s'agir d'un bien historique marquant d'une commune (ancien théâtre par exemple, salle paroissiale...) que la mairie souhaite récupérer pour le restaurer. A ce droit de préemption classique s'est ajouté depuis décembre 2007 le droit de préemption sur la cession des fonds de commerce, les fonds artisanaux, les baux commerciaux et les terrains faisant l'objet de projets d'aménagement commercial. Droit de préemption : comment ça marche ?
Lorsqu'un particulier décide de vendre un bien, construit ou non, et qu'il trouve un acheteur potentiel, le dossier de vente est communiqué obligatoirement à la mairie d'implantation du bien pour qu'elle exerce ou renonce à son droit de préemption. La mairie a deux mois pour exercer son droit de préemption. Après ce délai, la vente est réputée libérée du droit de préemption communal. Lorsque la commune décide d'exercer son droit, elle prend contact avec le négociateur du bien qui peut être le particulier lui-même, ou le notaire ou encore une agence immobilière. La mairie aligne généralement son offre d'achat sur le prix réclamé par le vendeur mais dans certains cas, la mairie peut faire une offre inférieure en se basant sur les prix du marché ou l'estimation des domaines. Si le vendeur n'accepte pas cette offre, il est libre de renoncer à la vente, il reste alors propriétaire de son bien. En cas de désaccord avec la mairie, le vendeur peut aussi dans certains cas se voir signifier un prix par une autorité impartiale, en l'occurrence le juge de l'expropriation. Ce dernier recours est éminemment plus complexe qu'un achat à l'amiable et doit impérativement être motivé du côté de la mairie par un projet d'aménagement bien identifié entrant par exemple dans le cadre d'une ZAC (Zone d'aménagement concertée) ou une ZAD (Zone d'aménagement différé). Lorsque les deux parties tombent d'accord, de gré ou de force, la vente est soldée.>> Lire aussi : Le droit de préemption des communes et la franchise
Droit de préemption d'un fonds de commerce ?
Depuis la fin 2007, le principe du droit de préemption courant a été étendu aux fonds de commerces, fonds artisanaux, baux commerciaux et terrains faisant l'objet d'aménagement de boutiques d'une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés. Ce droit particulier fonctionne peu ou prou de la même manière que le droit de préemption classique. Il vise pour une mairie à sauvegarder ses commerces de proximité. L'objectif est notamment d'éviter que des commerces « morts » comme des agences bancaires ou des agents d'assurance remplacent peu à peu des commerces « utiles » comme une boulangerie, une charcuterie, un bar-tabac dans les centre-villes. Le droit de préemption vise ainsi à sauvegarder la diversité des commerces dans un secteur identifié voire dans certains cas, à sélectionner les types de commerces autorisés (haut de gamme par exemple) dans telle ou telle rue commerçante. Pour exercer un droit de préemption sur les fonds de commerce, une commune doit au préalable délimiter la ou les zones de préemption. Ces zones sont définies en périmètre physique (souvent le centre-ville). Cette délimitation se fait après avis de la Chambre de commerce et d'industrie et de la Chambre des métiers. Dès lors que le périmètre est délimité, tous les projets de cessions de fonds situés dans ce périmètre de sauvegarde sont obligatoirement soumis au conseil municipal.
En cas de non respect de cette procédure, le vendeur s'expose au risque d’annulation de la vente pendant cinq ans. Comme dans le cas du droit de préemption classique, la commune a deux mois maximum pour exercer ou renoncer à son droit de préemption. Si la mairie décide d'exercer son droit de préemption, elle aligne le plus souvent son prix sur le prix demandé par le vendeur mais elle peut aussi faire appel au juge de l'expropriation pour fixer un prix inférieur. Lorsqu'un accord est trouvé, le fonds de commerce est acheté par la mairie dans un délai de 3 mois maximum. Elle dispose ensuite d'un délai d'un an pour le revendre à une entreprise commerciale ou artisanale en respectant les termes du cahier des charges permettant de garantir le respect des objectifs de la préemption. Si passé ce délai la revente n'est pas consommée, l'acquéreur évincé lors de la première mise en vente bénéficie d'un droit prioritaire d'achat.
Les limites du droit de préemption d'un fonds de commerce
Si la loi instituant le droit de préemption d'un fonds de commerce par une mairie a des intentions louables a priori, dans la pratique elle montre rapidement ses limites. En effet, par principe une cession de fonds de commerce implique généralement que le repreneur va poursuivre l'activité de son prédécesseur... sinon pourquoi achèterait-il un fonds de commerce ? Si de toutes évidences un bail commercial peut être sujet à changement d'activité, la reprise d'un fonds de commerce, elle, est loin de s'inscrire dans la même logique ! En franchise, l'affaire se complique encore plus puisque le fonds de commerce est indissociable a priori du franchiseur. Les législateurs qui ont certainement cru bien faire ont oublier un élément primordial: un fonds de commerce est « vivant ». Sans activité, il ne vaut plus grand chose ! Or quand une mairie rachète un fonds de commerce, qu'en fait-elle ? Elle ne l'exploite pas, ce n'est pas son rôle, elle le revend... dans un délai d'un an au maximum ! Que vaut un fonds de commerce après un an d'inactivité ? Quid des salariés s'il y en a ? Le propriétaire des murs lui est assuré de toucher son loyer, mais pour le reste ? Dans le cas d'une location gérance avec promesse de vente, l'imbroglio devient un vrai casse tête : le gérant peut du jour au lendemain se trouver évincé de « son affaire » ! Comme on le voit, l'application du texte de loi à la lettre peut amener à des dérives importantes.
Et c'est bien là que le bât blesse. Du jour au lendemain, un commerce peut se retrouver « prisonnier » d'un périmètre de préemption sans aucune échappatoire. Pire encore, le fonds de commerce peut se trouver complètement bradé par le jeu de l'expropriation ! Tous ces éléments bout à bout font que l'outil n'a pas fait recette auprès des élus. En plus de 3 ans, le bilan est de fait mitigé. Selon les derniers chiffres connus, 500 communes environ ont délimité des zones de préemption et moins de 200 préemptions ont été enregistrées ! Un maigre butin qui concerne d'ailleurs principalement les terrains à vocation commerciale et les bails commerciaux.
Les « aubaines » de la préemption
Si le droit de préemption des fonds de commerces et des fonds artisanaux n'a pas déchainé les passions chez les élus, dans certaines petites villes et quelques villages, l'outil a rapidement trouvé des adeptes. Ainsi, devant un commerce condamné à fermer faute de repreneur, les mairies se sont imposées comme des relais « facilitateurs » d'activité. Les fonds rachetés ont alors été mis en location gérance et les baux commerciaux remis sur le marché après une réhabilitation en bonne et due forme aux frais de la mairie. Résultat : l'installation du repreneur s'est faite à moindre coût et la commune a gardé son commerce de proximité. C'est sur ce terrain là que la franchise a, à plusieurs reprises, tirer son épingle du jeu. En effet, de nombreuses supérettes ont profité de cette aubaine pour placer des franchisés dans des locaux loués par des mairies à moindre coût. En contrepartie d'une petite compensation financière, ces magasins de proximité ont même repris l'activité de la Poste et d'autres services publics qui sinon auraient désertés le cœur des villages. Tout le monde se trouve ainsi gagnant !
Dominique, Journaliste toute-la-franchise©