Le Medef prône une réforme de l'alternance
« Pacte de l'alternance pour la jeunesse » publié par le Medef le 14 octobre
Alors que les emplois non pourvus sont nombreux et que les chiffres du chômage sont au plus haut, le Medef passe à l'offensive en plein débat sur la refonte de l'apprentissage. 11 propositions sont faites pour 100.000 jeunes de plus en cinq ans.
Dans le cadre de la concertation lancée il y a quelques semaines par le ministère du Travail en vue de réformer la loi sur la formation professionnelle, prévue pour début 2014, le Medef a publié le 14 octobre dernier, un document de synthèse sur les questions de l'apprentissage, de l'alternance et de la formation. Ce document, baptisé « Pacte de l'alternance pour la jeunesse » met en avant 11 propositions qui militent toutes pour la mise en route d'un système de « co-pilotage » des dispositifs de formation en alternance par l'Etat, les entreprises et les régions. L'idée est que « le gouvernement accepte de confier peu à peu le pilotage de la politique de l'alternance aux entreprises et aux branches afin de construire un système en adéquation avec les besoins et compétences des entreprises » a rappelé Florence Poivey, responsable des questions de formation au Medef lors du point presse de présentation du Pacte de l'alternance pour la jeunesse. Clairement, ce « co-pilotage » à l'allemande proposé par le Medef souhaite remettre l'entreprise au coeur des programmes de formation pour des diplômes directement opérationnels selon les besoins plutôt que des diplômes reflétant les « contraintes de gestion interne à l'éducation nationale ». Avec la loi qui devrait être votée début 2014, l'Etat vise 500 000 apprentis en formation en 2017 (contre 430 000 à la fin 2012).
Un plaidoyer pour l'alternance
L'alternance doit être au service de la jeunesse et des entreprises, et ceci est loin d'être le cas aujourd'hui selon le Medef. Pourquoi ? Parce que trop souvent l'école est sanctuarisée et l'apprentissage dévalorisé. Clairement selon le Medef, trop souvent l'entreprise est considérée comme un lieu d'exploitation, de conflit et de profit tandis que l''école jouit d'un statut démocratique, menant à l'autonomie et aux savoirs, à l'émancipation aussi, bref, des notions antinomiques avec la mission de l'entreprise. Ce renvoi dos à dos de l'école et l'entreprise a des effets pervers. « L’apprentissage, et plus généralement toute forme d’alternance impliquant une formation en entreprise, y est perçu comme une voie secondaire, une voie par défaut, une voie faite pour ceux qui ne peuvent emprunter le chemin académique. » Une aberration selon le Medef qui s'insurge : « considérer l’alternance comme une voie de relégation, c’est ne rien comprendre à ce qu’elle est, à ses effets sur les jeunes, à ce qu’elle met en jeu : l’alternance est fondamentalement une pédagogie, une autre manière d’apprendre la même chose qu’à l’école, une autre manière de réussir les mêmes diplômes et certifications.». Et force est de constater que cet argument est loin d'être faux Chacun connait un jeune réfractaire à l'école qui a toutefois réussi avec l'alternance à trouver sa voie et obtenir des diplômes qu'il n'aurait pu obtenir en restant à l'école. « Il faut cesser d’opposer les deux voies pour les penser comme deux pédagogies différentes et complémentaires au service de la formation de la jeunesse. »
Une réforme pour plus de résultats
Selon le Medef, « le système français de formation en alternance, et notamment en apprentissage, a quelque chose d’absurde. » Et le Medef de s'expliquer : « Que ce soit sur la conception des formations, la définition de leur contenu, leur révision ou l’appréciation du besoin de compétences des entreprises sur un territoire, la décision n’appartient pas à ceux qui sont concernés. » Les formations n'étant pas adaptées aux besoins, elles ne servent à rien ou presque. L'Etat est bien conscient du problème... « Pour compenser les inconvénients qui résultent de cette situation pour les entreprises, les pouvoirs publics leur accordent plusieurs subventions conséquentes (indemnité compensatrice de formation, crédit d’impôt, exonérations de cotisations sociales…). » Là encore, selon le Medef, cette situation est aberrante. « Au lieu de parier sur la responsabilité et la liberté des acteurs, on les enferre dans un système de règles inadaptées en dédommagement desquelles on les indemnise. Ceci donne aux pouvoirs publics le contrôle du système, mais au prix d’un double gâchis d’énergie privée et d’argent public. » Face à ces constats, le Medef propose que l'ensemble du système soit revu, pour plus de pertinence et de résultats. Le Medef propose ainsi « de rompre avec cette logique néfaste en portant une réforme en profondeur de l’alternance au service des jeunes et des entreprises. » Cette réforme inspirée du modèle allemand pourrait se résumer ainsi : « davantage de jeunes formés en alternance par les entreprises, moins de subventions publiques, un système géré par les entreprises et les branches. »
Un pacte formel pour des engagements
Le Pacte de l'alternance pour la jeunesse proposé par le Medef repose sur un engagement réciproque des entreprises et de l'Etat. « Si le Gouvernement accepte le contrat de confiance sur l’alternance proposé par les entreprises et de mettre en oeuvre les propositions correspondantes, les entreprises s’engagent à augmenter substantiellement le nombre de jeunes qu’elles forment en alternance chaque année. » Cette augmentation substantielle est chiffrée par le Medef à 3 % par an pendant 5 ans, ce qui permettrait de former, à horizon 2018, 100 000 jeunes de plus en alternance. Sachant qu'actuellement environ 580 000 jeunes sont dans les entreprises pour y recevoir une formation en alternance (3,53% des effectifs salariés de notre pays), en optant pour la conclusion du pacte, la part des jeunes formés en alternance passerait à 4,15 % des effectifs. « Le pacte de l’alternance pour la jeunesse constitue une main tendue du patronat au Gouvernement pour développer l’une des meilleures voies d’insertion professionnelle pour les jeunes. Elle suppose un changement profond dans la conception et la gestion de l’apprentissage. »
5 pistes d'action pour 11 propositions
Le pacte du Medef s'articule autour des 5 grands axes suivants :
1/ Informer les jeunes et les entreprises sur la réussite professionnelle à l’issue des formations en alternance
L’alternance est perçue comme une voie de relégation alors qu’elle permet de mieux s’insérer dans l’emploi que la voie académique. L’apprentissage est pourtant loin d'être une voie de garage puisqu'il présente de fait des taux d’accès à l’emploi supérieur de 9 points de plus que l'école classique pour les non-diplômés, de 11 points pour les diplômés du secondaire, et d’1 point pour les sortants du supérieur. Ces chiffres méconnus par les jeunes devraient être relayés plus largement auprès des principaux intéressés. Pour y parvenir, le Medef propose de rendre obligatoire l’information sur le taux d’insertion de la formation envisagée doit être obligatoire et préalable au choix d’orientation, de même que le taux de réussite au diplôme selon le diplôme d’origine. Par ailleurs pour mettre un terme à la dévalorisation de l'alternance, le Medef demande à ce que les académies revoient la procédure d’affectation des élèves post 3ème de collège appelée « Affelnet post 3ème ». Cette procédure exclut généralement l’apprentissage des choix d’orientation à part entière formulés par l’élève. « L’apprentissage est considéré comme un voeu de recensement à l’instar du redoublement ou du choix d’un établissement hors académie, par opposition aux voeux d’orientation formulés pour rejoindre des lycées publics. » Ce système qui laisse délibérément de côté la filière de l'apprentissage contribue à la dévaloriser. Certaines académies comme notamment celle de Créteil ont modifié leurs formulaires d'orientation en incluant l'apprentissage comme une option parmi d'autres. Cette modification de la présentation devrait être étendue à l'ensemble des académies.
2/ Construire des diplômes et des certifications correspondant aux besoins en compétences des entreprises
Aujourd'hui, les diplômes ne sont pas construits en fonction des besoins en compétences des entreprises, mais selon les contraintes de gestion internes à l’éducation nationale. Face à constat, le Medef propose de « rendre obligatoire un rapport d’opportunité validé par la CPNE avant toute création ou révision d’un diplôme ». Dans le détail, il est proposé la réalisation systématique d’un rapport d’opportunité préalable à toute création, fusion ou rénovation d’un diplôme et s’appuyant notamment sur les données des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications des branches professionnelles. Ce rapport d’opportunité devra être validé par les CPNE (Commission Paritaire Nationale de l’Emploi) concernées par les emplois cibles. Par ailleurs, le Medef propose de donner aux branches professionnelles la capacité de construire et rénover elles-mêmes les diplômes et pour ce faire, le Medef demande à ce que l’ingénierie de formation puisse devenir une compétence de droit pour les branches professionnelles qui le souhaitent.
3/ Assurer la cohérence des cycles des diplômes avec les contraintes de gestion des entreprises
Les cycles de diplôme sont aujourd'hui entièrement déconnectés des contraintes des entreprises. Le passage des examens à date unique en fin d'année scolaire ne correspond pas forcément avec le rythme calendaire de l'entreprise. Les cursus manquent également de souplesse. En cours d'année, le jeune peut vouloir changer d'orientation, profiter d'une opportunité de formation complémentaire ou distincte, mais cela est impossible du fait de la rigidité du système. Face à ces constats, le Medef propose de généraliser le contrôle en cours de formation (contrôle continu) pour mieux faciliter l'entrée en formation en cours d'année. Des milliers de jeunes, du simple fait de ce déblocage administratif, se verraient ouvrir la chance de l’apprentissage. « Au lieu d’attendre parfois plusieurs mois sans formation, qui sont parfois déterminants pour leur avenir, beaucoup de jeunes supplémentaires pourraient accéder à l’apprentissage. » Le Medef propose en outre d'adapter le bac professionnel en apprentissage aux contraintes des entreprises et à l’attente des jeunes. « Afin d’inciter les jeunes et les entreprises à s’engager sur un bac professionnel en apprentissage dès la fin de la troisième, il est nécessaire d’assouplir la réglementation actuelle en mettant en place un système 2+1 ». Un jeune pourrait ainsi réaliser son CAP en apprentissage en deux ans, puis, selon ses capacités et les perspectives d’insertion, de compléter sa formation par un bac professionnel en un an.
4/ Garantir une carte des formations correspondant aux besoins en compétences des entreprises
Selon le Medef, « que ce soit sur la conception des formations,la définition de leur contenu, leur révision ou l’appréciation du besoin de compétences des entreprises sur un territoire, la décision n’appartient pas à ceux qui sont concernés ». Ce décalage administratif avec le terrain entraine que la carte des formations n’est pas élaborée en fonction de l’intérêt des jeunes et des besoins en compétences des entreprises. Sachant que les régions sont liées par un système de financement obligatoire « qui les conduit à refuser des autorisations d’ouverture alors que les besoins existent... », le système est vicié. Face à ces constats, le Medef propose de mettre en place une procédure de co-décision entre les régions et les partenaires sociaux sur la carte des formations. Actuellement et conformément à l’article 18 de la loi Peillon du 8 juillet 2013 (« Refondation de l’école de la République »), la carte des formations est élaborée par les régions après consultation des branches professionnelles. Le Medef demande à ce que le conseil régional ne puisse adopter une carte régionale « que si cette dernière a obtenu un avis conforme de la part des partenaires sociaux, ce qui apporterait la garantie qu’elle répond effectivement aux besoins économiques du territoire et aux souhaits des secteurs professionnels. » En outre, le Medef propose de permettre aux entreprises et aux branches professionnelles de financer une politique de formation en alternance conforme aux besoins en compétences de leurs entreprises. Pour ce faire, il est proposé de fusionner la taxe d’apprentissage et la contribution au développement de l’apprentissage, et de « faciliter la fongibilité entre apprentissage et professionnalisation en adossant les OCTA aux OPCA ». Cette proposition est complétée par la demande du Medef de « déconnecter l’ouverture des CFA de l’obligation de financement régional ». En clair, le Medef souhaite qu’en cas d’auto-financement complet par les entreprises et les branches professionnelles, « la région ne puisse s’opposer à l’ouverture d’un CFA ou d’une section d’apprentissage, et qu’elle soit en échange libérée de toute obligation légale de financement (subvention d’équilibre et obligation de verser l’ICF). » Cette liberté faciliterait la création de CFA interrégionaux qui pourraient fonctionner avec des entreprises et des apprentis issus de plusieurs régions.
5/ Réguler et harmoniser les coûts de formation
Actuellement, d'une région à l'autre, et même parfois dans une même région, le concours financier obligatoire demandé aux entreprises pour une formation identique peut passer du simple au double. Du coup, « l’absence de régulation des coûts de formation conduit à une déperdition de financement au détriment de l’apprentissage. » Pour éviter ces phénomènes pénalisant pour certaines entreprises, le Medef propose d'élaborer et de généraliser une méthode de calcul du coût de formation par apprenti. « L’harmonisation du coût de calcul du CFO (concours financier obligatoire), conjuguée à sa transparence, permettrait ainsi de contenir les dérives constatées à l’occasion de sur-facturation du coût de formation par certains CFA. » En outre, le Medef propose de moderniser la procédure d’habilitation des établissements et de suivi des versements de la taxe d’apprentissage. La nouvelle procédure préconisée par le Medef aurait pour objectifs de garantir la transparence et la publicité des listes ainsi élaborées ; d’avoir une meilleure connaissance de la structure des versements et de la qualité des bénéficiaires ; de favoriser la concertation entre les acteurs sur la politique à conduire, au niveau territorial ; d’encourager l’émergence de projets pédagogiques et de limiter les effets de « saupoudrage », par exemple en instaurant un plancher minimum de versement.