Travail au noir : la restauration et le commerce de détail en première ligne
Un rapport thématique évoquant la lutte sur le travail illégal
Chaque année, l'Acoss, la branche recouvrement de la Sécurité sociale à l’Urssaf publie un rapport sur les activités de ses services de l'année précédente. Il y a quelques jours, pour la première fois, un rapport thématique sur le travail dissimulé a été publié en parallèle du rapport général.
« En 2011, les informations recueillies ont permis de mettre en évidence un taux national de fraude détectée de 7,3 % des établissements contrôlés et un taux de dissimulation de 2,4 % des salariés auditionnés » résume d'entrée de jeu le rapport thématique de l'Acoss portant sur la lutte contre le travail illégal.. « Ces taux sont du même ordre de grandeur que ceux observés lors de la campagne conduite en 2010 dans une partie du secteur du commerce de détail non alimentaire (respectivement 6,9 % et 2,6 %). »
Selon Jean-Marie Guerra, directeur de la Règlementation du Recouvrement et du Service (Dirres), il existe deux types de fraude. « La fraude que l’on peut qualifier « d’artisanale » qui se traduit par une absence de déclaration d’activité professionnelle, de salariés, ou de dissimulation d’heures de travail » et la fraude « plus organisée, plus professionnelle, qui fait intervenir des montages complexes, parfois transnationaux et qui s’apparente à une véritable délinquance économique et financière ».
Pour traquer la première, l'artisanale, qui « est le résultat d’une négligence ou d’une optimisation ponctuelle en matière de déclaration sociale », la lutte s'organise au plus près du terrain. « Par nature, ce type de fraude nécessite une présence constante et visible sur le terrain. En la matière, l’Acoss s’efforce de mener une politique préventive. Elle a, cette année, reconduit la campagne de communication lancée en 2009 sur le thème : « Frauder, c’est voler ». Celle-ci s’est soldée par d’excellents scores de reconnaissance, de l’ordre de 41 % pour le grand public et de 65 % pour les chefs d’entreprise. » Pour traquer la fraude organisée, les moyens déployés par l'Acoss exigent « à la fois une expertise spécifique et une action conjointe et solidaire entre les partenaires. L’Acoss et le réseau se doivent d’agir sur ce nouveau champ. Ce volet constitue un axe majeur des futurs travaux de la Branche. »
220 millions d'euros de redressements en 2011
Selon Pierre Ricordeau, directeur de l'Acoss, la lutte contre le travail dissimulé est un enjeu majeur de la valorisation des droits des salariés et du maintien d’une concurrence non faussée entre les entreprises. Clairement pour l'Acoss, « la lutte contre la fraude et le travail dissimulé est une mission essentielle du réseau des Urssaf et des Cgss. » Elle requiert une mobilisation de l’ensemble du réseau et de la Branche pour informer, contrôler, et redresser si besoin les mauvaises pratiques. Ainsi, en 2011, « les redressements opérés par les Urssaf se sont élevés à 220 millions d’euros (contre 185 millions en 2010).
Ils représentent une forte augmentation (de l’ordre 20 %) par rapport à 2010, supérieure aux objectifs fixés par la Cog ». Comment expliquer cette forte augmentation ? En fait, selon Pierre Ricordeau, « ces résultats sont le fruit de plusieurs facteurs » parmi lesquels le début du déploiement d'une nouvelle structure régionale « composée de collaborateurs issus du contrôle affectés à plein temps aux missions de lutte contre la fraude. » Ainsi, en 2011, les régions Auvergne, Midi-Pyrénées et Pays-de-la-Loire ont poursuivi leur engagement dans le processus de création des Urssaf régionales. Passée l’échéance du 1er janvier 2012, puis de 2013 pour 15 autres régions, c’est dans un cadre opérationnel entièrement rénové que, au 1er janvier 2014, vingt-deux Urssaf régionales auront été créées. « Cette approche régionale est l’une des clés de notre succès en jouant résolument la carte de la professionnalisation.
Par ailleurs, le travail de l’Acoss et du réseau s’est intensifié, tant au plan national qu’au niveau régional et local. Dans le même temps, d’importants travaux ont été engagés sur la mesure de la prévalence des situations de fraude. » Les entreprises sont donc désormais prévenues : le travail au noir est plus que jamais dans le collimateur de l'Urssaf. Sur l'ensemble de l'année 2011, 7 854 opérations ciblées ont été menées par les services de l'Acoss, et 4 996 PV établis. A cela s'ajoutent 1 220 exploitations des PV partenaires pour plus de 9 millions d'euros redressés. Au total, l'Acoss a annulé 12 millions d'euros de réductions de charges.
Qui sont les fraudeurs ?
Si le nombre de contrôles réalisés par l'Acoss est suffisant pour fournir une information statistiquement fiable au niveau national, il n'en est pas de même pour le niveau régional. A noter aussi : l'Acoss ne prend pas en compte dans ses statistiques les activités du BTP et de la construction, où les contrôles sont techniquement plus difficiles. Ceci étant, du côté des établissements l'Acoss note que « les régions Nord-Ouest et Ile-de-France se distinguent par un taux de fraude élevé, tandis que les régions Est et Ouest enregistrent les taux les plus faibles ». Du côté des travailleurs dissimulés, « ce sont les régions Ile-de-France, Nord-ouest et Sud qui enregistrent les taux de dissimulation les plus importants, tandis que les régions Est et Ouest connaissent les taux les plus faibles. »
En terme d'activités, la fraude est présente globalement dans tous les secteurs selon l'analyse faite à travers les différentes activités (NAF). Du côté des établissements, « les taux de fraude sont cependant plus élevés dans les hôtels, cafés et restaurants et dans les commerces de détail alimentaire (respectivement 14,2 % et 12,7 %). » D'autres secteurs d'activité comme notamment ceux liés à « l’information et la communication affichent également un taux de fraude important (12,5 %), de même que les activités juridiques, comptables et de conseil en gestion (8,9 %), les commerces de coiffure et soins du corps (8,7 %) et les activités artistiques et de spectacles (7,9 %) ». Du côté des travailleurs dissimulés, là encore tous les secteurs sont concernés par la dissimulation de salariés, « avec néanmoins une certaine hétérogénéité. Le secteur des hôtels, cafés et restaurants et celui du commerce de détail alimentaire ont les taux de dissimulation les plus élevés (respectivement 5,8 % et 5,5 %). Les commerces de coiffure et de soins du corps, de même que les activités juridiques et les activités immobilières enregistrent également des taux de dissimulation relativement plus importants (respectivement 4,2 %, 3,2 % et 3,1 %). »
Selon le critère de l'ancienneté « les établissements de moins de deux ans d’existence ont tendance à frauder relativement plus que les autres établissements. Au-delà de 2 ans, les taux de fraude diminuent progressivement ». Selon le critère de la taille de l'établissement, la fraude est présente dans tous les établissements selon l'Acoss, mais là encore, « on observe néanmoins des taux de fraude plus élevés dans les établissements de 4 salariés et dans ceux de 20 salariés ou plus. » En revanche, les établissements n’ayant aucun effectif déclaré, de même que ceux ayant de 7 à 9 salariés ont une probabilité significativement plus faible que les autres de frauder.
Globalement, en 2011, le taux de dissimulation des hommes est sensiblement identique à celui des femmes. Les travailleurs dissimulés sont de tous âges, mais les taux de dissimulation sont les plus importants parmi les salariés de moins de 18 ans et parmi ceux de plus de 60 ans.
Une législation considérablement durcie depuis 2011
En 2011, plusieurs mesures ont été adoptées pour enrichir et compléter le dispositif juridique et institutionnel existant en matière de lutte contre le travail illégal et contre les fraudes sociales. Ainsi, désormais, l’absence intentionnelle d’établissement des déclarations sociales relatives aux salaires constitue une dissimulation d’emploi salarié. Cette mesure mise en place par la modification de l’article L.8221-5 du code du travail introduite par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 « consacre dans les textes la jurisprudence d’incrimination du délit de travail dissimulé pour défaut intentionnel de production des déclarations périodiques obligatoires auprès de l'Urssaf. »
Clairement, cette mesure s'inspire, dans la logique, de l’incrimination du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité applicable jusqu'alors aux travailleurs indépendants. Elle a « pour conséquence de lever l’exigence du caractère lucratif de l’activité exercée requise par la formulation de la rédaction de l’article L.8221-3 du code du travail. L’incrimination de travail dissimulé des particuliers ou des associations leurs est devenue applicable, et désormais ceux-ci peuvent être verbalisés pour dissimulation d’emploi salarié par défaut ou minoration de déclarations sociales. » Le caractère intentionnel résulte notamment d’un défaut répétitif de production des déclarations obligatoires.
D'autre part, la minoration de déclaration du chiffre d’affaire ou des revenus tirés d’une activité indépendante constitue désormais de fait une dissimulation d’activité. Jusqu'alors, cette pratique était régie par la jurisprudence désormais elle est régie par les textes. « L’amendement de la rédaction de l’article L.8221-3 du code du travail constitue le pendant de la dissimulation d’activité applicable au travailleur indépendant à la situation des auto-entrepreneurs qui minorent un chiffre d’affaire et non pas un revenu. » En clair, « la nouvelle définition de la dissimulation d’activité rend cette qualification applicable à l’auto-entrepreneur. Elle réalise ainsi l’unification logique des sanctions applicables à une situation délictuelle identique, indépendamment des modalités de déclarations spécifiques et inhérentes au choix du statut. » De plus, elle ouvre également « la voie à la verbalisation du travailleur indépendant qui a poursuivi son activité après la radiation opérée par l’Urssaf en raison de l’absence de revenu ou de recette pendant au moins deux ans. »
Le caractère lucratif requis pour l’applicabilité de l’interdiction du prêt de main d'œuvre est précisé par la modification de la rédaction de l’article L.8241-1 du code du travail. Cette mesure vise à sécuriser la pratique de mise à disposition de son personnel auprès d’une autre entreprise. Dans la pratique, « le prêt de main d'œuvre à titre lucratif demeure interdit, mais le texte vient expressément préciser l’absence de caractère lucratif à reconnaitre aux facturations de mise à disposition qui ne sont constituées que des seuls éléments de salaires, charges sociales et des remboursements de frais professionnels. »
D'autre part, le donneur d’ordre condamné pour travail dissimulé pour l’emploi de faux travailleurs indépendants est désormais tenu au paiement des cotisations calculées sur les sommes qu’il leurs a versées. Auparavant, « le donneur d’ordre, qui avait eu recours à des faux indépendants, verbalisé et même condamné pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, bénéficiait d’une présomption légale excluant d’exiger de lui le paiement des cotisations éludées. » Désormais, en application de la nouvelle rédaction de l’article L.8221-6 du code du travail, le donneur d’ordre une fois condamné sera redevable d’une somme égale aux cotisations et contributions sociales qu’il aurait dû comme employeur pour la période pendant laquelle la dissimulation d’emploi salarié a été établie. « Cette mesure permet de sanctionner une utilisation abusive du statut de travailleur indépendant pénalement sanctionnée tout en préservant la volonté du législateur de voir sécurisé le véritable travail indépendant. »
Les textes 2011 prévoient également des modalités simplifiées concernant la vigilance du donneur d’ordre de la régularité sociale de son sous-traitant. Désormais, « le nombre de quatre pièces exigées antérieurement, se trouve rapporté à deux, un extrait d’immatriculation au Registre du commerce et une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations. L’attestation sur l’honneur certifiant que le personnel est employé conformément aux dispositions du code du travail disparait. » Dans la pratique, le nouveau document doit attester de la fourniture des éléments déclaratifs et du paiement des cotisations. Il mentionne également dorénavant la masse salariale et le nombre de salariés qui ont été déclarés. Il est sécurisé par une procédure en ligne.
Les autres mesures adoptées en 2011 concernent notamment :
- L'Article L.243-15 du code de la Sécurité sociale instaure que « l’existence d’une dette afférente à une verbalisation du cotisant au titre du travail dissimulé s’oppose à la délivrance des attestations quand bien même un recours serait introduit contre le constat et/ou contre la créance. »
- Le Décret n° 2011-681 du 16 juin fusionne le dispositif de la DUE (Déclaration unique d’embauche) dans la DPAE (Déclaration préalable à l’embauche). L’avis de réception de la DPAE est adressé par l’Urssaf dans le délai de cinq jours, mais ne comporte plus de volet détachable à remettre au salarié. Le délai de conservation par l’employeur de l’avis de réception qui s’imposait jusqu’à la délivrance du premier bulletin de salaire est désormais étendu jusqu’à l’accomplissement de la déclaration annuelle des données sociales.
- L'Article L.243-5 du code de la Sécurité sociale, instaure que « l’existence d’une dette sociale afférente à du travail dissimulé exclue de droit le cotisant du bénéfice de la remise des pénalités ». L’application de ce dispositif vient renforcer les sanctions applicables aux fraudeurs, laissant à leur charge l’intégralité du passif. Dans le même esprit, l’article L.243-7-4 du code de la Sécurité sociale a instauré, au bénéfice des Urssaf, l‘exercice de mesures conservatoires visant à sauvegarder les perspectives de recouvrement des cotisations frauduleusement éludées. Ainsi, « dès lors qu'un procès-verbal de travail illégal a été dressé et que la mise en péril du recouvrement des cotisations dissimulées a été établie, l'inspecteur du recouvrement peut dresser un procès-verbal de flagrance sociale qui mentionne l'évaluation du montant des cotisations dissimulées. La notification de ce procès verbal au cotisant permettra au directeur de l'organisme de recouvrement de solliciter l'autorisation du juge de l'exécution de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens du débiteur. »
Enfin, le dirigeant responsable de manœuvres frauduleuses peut être tenu responsable du paiement des cotisations afférentes à du travail dissimulé. Le directeur de l’Urssaf peut saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de faire condamner un dirigeant responsable de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées des obligations sociales au paiement des cotisations afférentes à du travail dissimulé. Les voies de recours entreprises à l’encontre de la décision du président du tribunal de grande instance ne font pas obstacle à la prise de mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance sociale.
Pour en savoir plus sur le sujet, visitez le site de l'Acoss.
Dominique André-Chaigneau, Toute la Franchise©