Le Cross-Canal ou la convergence des canaux de distribution au service du client
Les enseignes françaises utilisent peu ou mal le cross canal
Mercredi 13 mars, le cabinet de conseils en développement de réseau Franchise Management, organisait dans les locaux lyonnais de la Banque Populaire une conférence sur le thème du cross-canal dans le cadre de la franchise. Petit retour sur ce qu’il fallait retenir de cette conférence.
Dans un premier temps, DesignDay, agence conseil spécialisée dans l’identité des marques et enseignes, a dressé un état des lieux des pratiques, plus ou moins bonnes, du cross canal à travers le monde et en France. Une intervention suivie par une présentation de quelques outils pour optimiser les stratégies cross canal des enseignes, proposée par Sylvain Bartolomeu, expert en développement de réseau au sein du cabinet Franchise Management. La matinée s’est terminée par les témoignages des directeurs de LDLC.com et d’irrijardin, deux enseignes de franchise menant une politique efficace de cross canal.
Etre digital et multicanal ce n’est pas faire du cross-canal
Georges Duarte, directeur associé de l’agence DesignDay, casse quelques idées reçues sur le cross-canal. Il met notamment en garde contre l’amalgame entre cross-canal et multicanal. Pour lui le « multicanal est un terme à abolir » tant il n’a plus sa place dans la stratégie de développement des enseignes. Une stratégie multicanale implique en effet une différence distincte entre les différents canaux de distribution – notamment entre le web et le magasin physique –, alors que la tendance actuelle portée par le cross-canal consiste à faire converger tous les canaux de distributions existants au service de l’unité et de la valorisation de la marque. Georges Duarte rappelle que « la cross-canalité ne considère pas le web comme un service de plus » mais bien comme un « outil pour créer un nouveau type de relation avec le client » et il affirme que « le client ne veut pas avoir un site web ou un magasin mais bien que l’un soit la continuité de l’autre ».
Après le terme « multicanal », c’est l’expression « être digital » qu’il faut abandonner : « Ce n’est pas parce que l’on met des écrans partout que l’on est cross canal » soutient Georges Duarte. Pour illustrer son propos, il pointe les aberrations concernant l’usage du web au sein des points de vente et notamment l’engouement irraisonné des enseignes pour les bornes connectées. S’il admet que « l’usage d’une borne peut être très efficace », mal placée et sans réflexion préalable concernant ses fonctionnalités elle est « absolument inutile » et ignorée du consommateur. L’utilisation de ce type de technologie doit apporter une plus-value pour le client, sans quoi cela ne représente aucun intérêt. A l’heure de l’avènement du web mobile, marqué par une croissance exponentielle du taux d’équipement en smartphones, offrir un accès au site web de l’enseigne en magasin est un non-sens.
Mais alors à quoi sert le cross-canal ? Les deux bénéfices majeurs soulevés par Georges Duarte concernant la mise en place d’une réelle stratégie de cross-canalité sont le clic and collect et l’extension de gamme.
Le clic and collect : premier bénéfice du cross-canal
Le clic and collect est le fait de permettre au consommateur de commander un produit depuis le web pour venir le chercher en magasin. Le clic and collect répond à une attente forte du client en lui offrant simultanément les avantages du web et du magasin traditionnel. Sur le web, il peut comparer, consulter des avis sur le produit, prendre son temps de choisir pour finalement acheter au moment qui lui convient. En magasin, il peut toucher son produit, obtenir des conseils sur son utilisation et surtout il n’est pas contraint d’attendre pour être livré.
L’application du clic and collect est parfaitement illustrée par l’avènement du drive sur le secteur de la distribution alimentaire. Pour Georges Duarte, « le drive est la première grande tendance cross-canal qui a fait évoluer le secteur ». Il ajoute que si « son application à l’alimentaire était une évidence » d’autres secteurs s’y sont également essayés avec succès. Il cite notamment l’exemple du club Nespresso.
« Qui aurait pu penser, il y a quelques années, que le consommateur achèterait des capsules de café sur internet pour aller les chercher en magasin ? » C’est pourtant ce que propose Nespresso. L’enseigne s’appuie sur sa stratégie de clic and collect comme d’un « élément de valorisation du client ». Au-delà des différentes offres auxquelles celui-ci a accès, il bénéficie également d’un statut de client privilégié au sein des boutiques Nespresso.
L’extension de gamme, un autre avantage du cross-canal
L’autre grand bénéfice du cross-canal est l’extension de gamme. L’idée est simple mais pourtant peu appliquée en France : si en magasin le client ne trouve pas son produit ou sa taille, il est invité à commander en ligne pour le retirer plus tard ou se le faire livrer. Cette application du cross-canal est notamment utilisée par irrijardin qui, de par la nature même de ses produits, ne peut pas exposer en magasin toutes les références de son catalogue. Yves Allibert, le directeur de l’enseigne, prend comme exemple son offre de spas : « En magasin, nous pouvons tout au plus exposer une dizaine de modèles alors que nous en avons 110 sur notre site web ». Le client intéressé par l’acquisition d’un spa peut ainsi profiter des conseils du vendeur et poursuivre son achat en ligne si le modèle qui l’intéresse n’est pas en magasin.
Les principaux freins de la cross-canalité appliquée à un réseau de franchise
Irrijardin a adopté une politique cross-canal qui s’avère payante et, de surcroit, a réussi le challenge de la faire accepter par ses franchisés. Pour Sylvain Bartolomeu, « le plus long dans la mise en place d’une telle stratégie au sein d’un réseau de franchise est la conduite du changement ». L’expert en développement de réseau conseille de « recentrer le débat autour du client et de ses attentes ». Car s’il intègre de plus en plus le fait que les franchisés soient des entrepreneurs indépendants, le client souhaite avant tout s’adresser à une marque, à une enseigne.
Le cross-canal consiste donc à mettre en avant la marque au détriment de l’individualité de chaque commerçant. Comme le confirme Olivier de La Clergerie. Pour le directeur de LDLC.com « il faut penser en tant que marque et avoir une unité d’information ». Un principe pas toujours évident à faire admettre à des franchisés particulièrement attachés à leur indépendance et, selon Yves Allibert, « il faut user de beaucoup de pédagogie pour leur démontrer les bénéfices d’une telle politique ». L’essentiel étant que chacun, qu’il soit franchiseur, franchisé ou client, y trouve son compte.
irrijardin et LDLC.com : deux exemples d’application réussie
Chaque enseigne est spécifique et doit adapter sa stratégie de cross-canal en fonction des produits qu’elle commercialise. Ainsi, LDLC.com et irrijardin sont arrivées aux cross-canal par des chemins différents et pour des raisons distinctes mais avec l’objectif commun de répondre à l’attente du client.
irrijardin est un réseau de magasins traditionnels qui a décidé d’utiliser les remarquables possibilités du web pour accroitre la performance de ses points de vente. L’enseigne a développé des outils pour offrir à ses clients une globalité de services entre le web et les magasins de son réseau. Le plus efficient de ces outils est son call center qui traite toutes les demandes de devis réalisées en ligne, par téléphone ou encore via le formulaire dédié disponible dans son catalogue papier. Sur le web, l’internaute arrive directement sur la page de son magasin irrijardin, ce qui confère un gain de notoriété pour le franchisé. Mais surtout, chaque commande traitée par le call center est facturée pour le compte du magasin concerné, octroyant au franchisé un chiffre d’affaires additionnel non négligeable.
LDLC.com, a fait le chemin inverse. Créé à Lyon en 1997, le site de vente en ligne de matériel informatique est un pure player. L’enseigne connait un succès remarquable, cotée en bourse, elle réalise près de 200 millions de chiffre d’affaires et emploie 340 personnes. Pourtant, elle vient d’amorcer le développement d’un réseau de magasins en franchise. Pour Olivier de La Clergerie, la mise en place d’une réelle stratégie cross-canal est primordiale pour offrir à ses clients une continuité physique au site. En magasin, même si le nombre de produits exposés est restreint par rapport aux 23.000 références du site, le client peut récupérer une commande, obtenir des conseils ou encore faire appel au service après-vente.
Le directeur de l’enseigne déclare être convaincu depuis toujours que « l’avènement du e-commerce a été rendu possible parce que la technologie a permis l’émancipation du consommateur dans son choix du circuit de distribution ». Le consommateur ne fait plus la distinction entre le e-commerce et le commerce physique, « il fait confiance avant tout à une marque ». Ainsi, « chez LDLC, le client se sent bien partout, quel que soit le canal qu’il a choisi pour entrer en contact avec la marque ». La meilleure illustration de cette indiscernabilité entre le web et le magasin est que les prix des produits LDLC sont partout identiques.
En France, le cross-canal n’en est qu’à ses prémices. Par frilosité ou par ignorance de ses bénéfices avérés, la plupart des enseignes françaises tardent à l’appliquer et quand elles tentent de l’appliquer c’est bien souvent sans en connaitre les réelles finalités. Georges Duarte évoque de nombreuses tentatives malheureuses d’utilisation du web au service du commerce traditionnel en France. Le directeur associé de l’agence Design Day dresse un bilan négatif mais pas catastrophique de l’état de pénétration du cross-canal sur le marché français. Il invite les dirigeants français à s’inspirer de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons et notamment en Angleterre, qu’il considère comme le marché le plus avancé en la matière.
Benjamin Thomas,Toute La Franchise ©