Chez Papa : « C’est l’humain, la seule, la vraie clé du succès »
Bruno Druilhe est le créateur du concept Chez Papa, une enseigne de restaurants de cuisine traditionnelle du Sud-Ouest. Après avoir créé 12 restaurants partenaires sur Paris et sa banlieue, il vient de choisir d’ouvrir ce partenariat à toute la France. Dans cette interview, il revient sur les bases de ce concept à succès.
Bruno Druilhe, bonjour. Pouvez-nous dire qui vous êtes ?
Bruno Druilhe : Qui suis-je ? Je suis un enfant de l’Aveyron. Je suis né dans les années 60 en un tout petit hameau d’une dizaine d’âmes, La Bessarie, proche de Villefranche de Rouergue. J’ai passé mon enfance bercé par les plats du terroir que faisait ma mère, une excellente cuisinière au demeurant. Déjà adolescent, je rêvais de cuisine et c’est donc tout naturellement que, jeune provincial monté à Paris en 1979, j’ai commencé à exercer comme cuisinier à « La Truite Vagabonde », un restaurant du 17e arrondissement. Par la suite, le propriétaire d’un bougniat du 13e où je travaillais dans le quartier de la Butte aux Cailles m’a proposé de reprendre son établissement. Jai accepté de suite, touché par cette confiance et, à dire vrai, je n’avais alors aucun denier en poche. Il a cru en moi et m’a proposé de le payer par un crédit-vendeur, ce dont je me suis acquitté progressivement rubis sur l’ongle… Ce brave homme est mort mais je lui suis encore reconnaissant de ce geste car il m’a donné l’occasion unique de ma vie... De nos jours, je suis toujours guidé par ce sentiment de reconnaissance et par une profonde empathie pour les autres telle que je l’avais connue chez lui…
Votre concept de restaurant-auberge du Sud-Ouest s’adresse autant à des candidats sans expérience qu’à des restaurateurs déjà en place souhaitant dynamiser leur activité.
B.D. : C’est exact. Je ne recherche pas le grand professionnel car il ne viendra pas chez nous… Pourquoi ? Parce qu’on est dans un carré et donc si la personne est un fin spécialiste de la cuisine, à l’affût d’innovations, de nouvelles idées de plats ou d’astuces de fabrication, quitte à bâtir une pyramide, ce n’est pas chez nous qu’elle s’y retrouvera... En effet, nos mets sont éprouvés, certifiés par des générations d’Aveyronnais et des décennies de vécu du terroir. En tant que tête de réseau, j’en ai élaborées des recettes précises et aisément reproductibles.
Maintenant Chez Papa, c’est un système de travail où on cherche l’humain et même si vous n’êtes pas un professionnel de la restauration, à partir du moment où vous êtes humain, en accord avec vous-même, vous avez de bonnes raisons de travailler en partenariat avec Papa.
Pouvez-vous nous citer un exemple réussi de reconversion d’un établissement de restauration vous ayant rejoint ? Comment vivait-il auparavant ?
B.D. : Oui, le Chez Papa de Bastille, au 40 boulevard de la Bastille dans le 12e arrondissement de Paris. Comment il vivait avant, je ne sais pas… A l’époque, c’était une brasserie, puis c’est devenu une pizzeria ; ce sont des affaires qui vivotaient. Et encore aujourd’hui, le jour où ils m’ont appelé pour faire un Chez Papa, cela a été ma grande fierté, à deux pas de la Bastille, face au port de l’Arsenal. Nos partenaires y réalisent maintenant un chiffre d’affaires supérieur au million d’euro… Moi, je trouve ça extraordinaire, ce sont des gens travailleurs, qui ont envie de recevoir et qui sont très proches des clients pour qui ils démontrent une évidente empathie.
Vous craigniez initialement que cet établissement ne soit situé du mauvais côté du bassin de l’Arsenal . Finalement cela s’est-il confirmé ?
B.D. : Effectivement, on me disait alors que ce n’était pas bon, qu’on n’était pas sur le bon trottoir… C’est vrai qu’à une époque, on parlait des trottoirs, en face, à droite, à gauche… Mais finalement, ça n’a rien à voir de ce côté là… C’est l’humain, j’y crois toujours, la seule, la vraie clé du succès. C’est une affaire qui travaille très bien mais il y aussi les hommes qui sont dedans, c’est obligé... Ces messieurs Sehrine sont de vrais aubergistes, agréables, durs à la tâche, sachant et aimant recevoir.
Avez-vous des exemples de partenaires de votre réseau allant ouvrir un deuxième Chez Papa ?
B.D. : Oui, nous avons des partenaires qui ont envie de faire plein de choses… Il faut parler, ne pas laisser faire trop vite parce qu’il ne faut pas faire n’importe quoi… Par exemple, ces messieurs qui sont de la Bastille, ils sont très dévoués, ils sont ambitieux. Et voila, ce qu’ils aiment, c’est un travail bien fait, ils aiment le produit, ils aiment la table, ils aiment recevoir le public donc ils sont prêts. Là, ils vont ouvrir dans très peu de temps un deuxième Chez Papa, rue de Clichy dans le 9e, à deux pas de la place de Clichy, non loin des théâtres. Cela, ça va être super sympa !
Vous avez bâti sur Paris un réseau reconnu de 12 restaurant-auberges qui fonctionnent très bien. Quels sont selon vous les raisons de ce succès ?
B.D. : On en vient toujours au même système : le secret de l’auberge du Sud-Ouest, c’est de pouvoir partager des plats. Moi, c’est mon plaisir, de faire partager les plats et recettes de famille de cette région. Les clients voyagent et ça leur permet d’apprécier les arômes, les mets régionaux, les valeurs du terroir. Le voyage, l’authenticité, quoi !... Qu’on soit au mois de juillet ou au mois de novembre, les gens ont envie de partir dans le Sud-Ouest et ça, ça me fait plaisir. Le dépaysement, le changement !... Une fois, franchie les portes du restaurant-pilote Chez Papa, au métro Louis Blanc, rue Lafayette, en quelques mètres et quelques secondes, vous avez fait 600 km, loin de Paris et de son stress. Vous retrouvez transporté sur les terres d’Espelette et de Bergerac !... L’accueil, la décoration y contribuent : tresses de piments, bière basque, tables bois, ardoises avec les menus, senteurs, affiches, éclairage…
Et puis, puis-je ajouter à titre d’anecdote, que nous sommes connus hors de France !... Mon Dieu, que je suis content quand des quasi-inconnus me disent : « Je suis venu chez vous, il y a des années, à votre restaurant de La Butte aux Cailles ; je n’avais pas oublié et je voulais voir si c’était toujours aussi bon… ». Croyez-moi, de telles rencontres ne sont pas rares et même avec des citoyens du monde aussi lointains que des Russes, des Chiliens, des Coréens ou tout simplement des provinciaux venant rarement à Paris. Et ceux-là, si Dieu me prête vie, je les reverrai avec plaisir, prochainement ou dans des années !
C’est vrai que dans ce restaurant pilote, on a l’impression d’être arrivé instantanément dans le Sud-Ouest. Avez-vous des projets pour affirmer davantage cette authenticité ?
B.D. : Oui, mon plaisir, justement, c’est de donner l’envie aux gens de venir manger chez nous. Pourquoi ? Parce qu’ils sont dépaysés… Ils sont en vacances ; je les fais voyager de Chabosse à La Bessarie, de Nogaro à Dax… Cela permet une force de communication et relationnelle. Alors ce que j’aimerais, c’est faire une radio typique et exclusive Chez Papa. Je ne veux pas que cela fasse chaine mais au contraire que ça fasse complètement indépendant parce que nos restaurants sont uniques. On rentre dans un restaurant, cela fait une auberge unique, ça ne fait pas chaîne de restaurant… D’ailleurs, quand nous ouvrons un nouveau restaurant, nous gardons souvent des éléments architecturaux déjà en place ; il suffit qu’ils soient attractifs, aient du cachet et conviennent à l’ambiance Chez Papa. Je ne veux pas de clones ; échappons que diable à l’uniformité qui appauvrit la vie et que rejettent de plus en plus les consommateurs… Alors, je protège ce côté humain, chaleureux, du Sud-Ouest, quoi !.. Il y a aussi notre journal, la « Gazette de Papa », dont nous tirons deux ou trois numéros par an.
Quels sont les plats les plus appréciés du public ?
B.D. : Les plats les plus appréciés des clients… Déjà, ils adorent les plats à l’ancienne. Je m’aperçois qu’on a beaucoup de jeunes qui viennent manger puis que l’on revoit. Le public en revient à des plats traditionnels : la daube, on fait l’axua, le tripoux, on fait le coufidou, le confit et le rillon de canard … Et là, je me régale de voir les gens savourer ces produits. Ça, c’est ma grande fierté : la découverte, le voyage. Faire voyager l’imaginaire, Mon Dieu, Mon Dieu, que c’est beau !
Bruno Druilhe, je suis un néophyte en matière de cuisine. Pouvez-vous nous dire ce qu’est que l’axua ?
B.D. : Alors l’axua, c’est un plat typique du Sud-Ouest, donc d’Espelette où c’est du veau ou du bœuf,.. Enfin, c’est du veau haché avec des piments d’Espelette, des poivrons, des oignons et c’est cuit dans l’huile d’olive. Il y a les saveurs, les arômes, les senteurs… C’est un bonheur, un vrai bonheur de goûter ça…
Et le coufidou ?
B.D. : Le coufidou, c’est une spécialité de l’Aveyron où on le fait… C’est une daube, une daube de bœuf et au lieu de la faire cuire normalement comme la daube que tout un chacun connait, et bien, on la fait cuire beaucoup plus longtemps pour qu’elle soit confite et là, le produit il est cuit, il est moelleux, il est fondant… C’est extraordinaire ; on ne sent pas le vin mais il y a du vin ; ce n’est pas agressif, c’est doux… Ça ne fait pas bourguignon… Et puis, toujours pareil, le voyage, le dépaysement, quoi !…
Vous nous avez fait déguster un apéritif particulièrement goûtu. Quel est-il exactement ?
B.D. : Je vous ai fait gouter la Papagria. La Papagria, c’est nous qui la faisons… Vous savez que la Sangria est protégée en Espagne depuis les années 2010. Bien sûr on est dans le Sud-Ouest, le voyage, les vacances, ça fait partie de ce monde là… Et donc j’ai créé la Papagria où je fais un caramel de vin rouge bien de chez nous avec une macération de fruits, de préférence, poires, pommes, citrons et bien sûr des piments d’Espelette. Nous n’y retrouvons rien, mais absolument rien de la sangria. Ça n’a rien à voir et pourtant, c’est un vrai produit, plébiscité par le public… Ça y est, on est parti, on voyage, les gens sont en vacances, loin de Paris… On discute et on en prend, en général, un deuxième verre.
J’imagine que Chez Papa, il n’y a aucun plat industriel ?
B.D. : Bien sûr, ces produits sont totalement exclus chez nous... Pas de plats industriels fabriqués en usine, livrés sous vide ou simplement micro-ondables, aucun produit congelé. Nous travaillons avec des producteurs locaux du Sud-Ouest que je visite régulièrement. Nous fabriquons également quelques produits dans des conserveries où je descends cinq à six fois par an. Bien évidemment ce sont des établissements indépendants de Chez Papa ; je leur paie une prestation pour produire selon mes souhaits et la relation est basée sur la confiance, la réactivité, la durée et l’estime réciproque. Tout ceci me permet d’avoir une traçabilité garantie. Nos fournisseurs sont ainsi soigneusement sélectionnés. Nous sommes aussi à l’écoute des remontées des clients des partenaires Chez Papa.
Quelle est la marge de manœuvre de vos partenaires dans la carte qu’ils proposent à leurs clients ?
B.D. : En bonne relation, ils me préviennent quand ils veulent mettre en salle des mets nouveaux, voire originaux. Et très souvent, je leur donne mon accord pourvu que ces produits soient conformes à l’éthique Chez Papa. J’essaie de ne pas empêcher nos partenaires de travailler et d’innover. Le but, c’est qu’ils fassent des suggestions et si ces suggestions marchent bien, on essaie de les mettre en parallèle à la carte de tout le monde. Notre réseau est de taille humaine, cela nous aide beaucoup et facilite les échanges et les retours d’expérience. Le restaurant-pilote et ma longue connaissance des goûts du public y aident aussi beaucoup. C’est ça, le vrai partenariat, c’est un échange de savoir-faire et ça nous permet d’avancer.
Faites-vous de la vente à emporter ?
B.D. : Oui, cela se développe de plus en plus. Il y a quelques années, nous n’y avons pas cru mais ce type de vente a vraiment décollé de nos jours, les gens venant prendre directement chez Papa des plats qu’ils emportent et consomment chez eux. Il s’agit souvent de clients habitués. Il faut aussi dire que, le bouche à oreille fonctionnant bien, nous voyons par ce biais de nouveaux visages qui deviennent ensuite des clients réguliers en salle.