Quels enseignements les TPE et PME peuvent tirer de la crise Covid-19 ?
L’analyse de Jean-Claude Grégoire, spécialiste en pilotage d’entreprise
Jean-Claude Grégoire, fondateur et dirigeant du réseau Oseys, spécialiste du pilotage d’entreprise pour les TPE et PME, partage son analyse et ses conseils aux chefs d’entreprise pour traverser la crise actuelle. (A voir en vidéo)
Toute la Franchise : Pouvez-vous nous présenter rapidement votre parcours professionnel ?
Jean-Claude Grégoire : J’ai démarré une activité salariée dans différentes entreprises, de la plus petite à la plus grande jusqu'aux groupes internationaux et puis, à un moment de ma carrière, je me suis posé la question de l'indépendance et je me suis lancé en tant que restaurateur. Je suis ainsi passé de l'autre côté de la barrière et j'ai été confronté aux questions que se posent les créateurs, les dirigeants, sur les difficultés de la gestion, les décisions à prendre, la rentabilité, etc.
J'ai également pris la présidence d'une crèche qui était en difficulté et que j’ai remise sur pied. J'ai pris beaucoup de plaisir à le faire. J'ai ainsi pu constater, malgré mon parcours – j'ai une maîtrise de gestion et d'économie des entreprises, les difficultés au quotidien des dirigeants.
J'ai cherché des outils, des méthodes qui permettaient de répondre au mieux à toutes ces problématiques mais je ne les ai pas trouvés sur le marché. J'ai donc développé un outil d'accompagnement des dirigeants qui s'appelle Pilotage Pro, au départ pour mon propre compte puisque, fort de ces expériences, j'ai ouvert mon cabinet pour accompagner les entreprises en 2005.
Fort du succès de la méthode et pour répondre aux sollicitations de personnes de l'extérieur qui m'ont demandé de pouvoir collaborer, on a été amené à créer le réseau de franchise Oseys il y a maintenant une petite année.
Ça fait donc une quinzaine d'années que vous accompagnez les chefs d'entreprise. Quelle est votre analyse personnelle et professionnelle de la crise actuelle ?
La crise actuelle a ceci de particulier qu'elle exacerbe les difficultés qui existaient déjà dans les entreprises. Naturellement, son aspect soudain, immédiat et général touche tous les pans de l'économie mais à des degrés divers. On voit bien, par exemple, que les entreprises de e-commerce bénéficient de la situation alors qu'évidemment les restaurateurs, les hôteliers ont plus de difficultés, ce qui est compréhensible.
« Au-delà de l'aspect soudain et massif sur l'économie, cette crise met vraiment en exergue les difficultés qu'avaient déjà les entreprises dans leur gestion »
Mais, au-delà de l'aspect soudain et massif sur l'économie, cette crise met vraiment en exergue les difficultés qu'avaient déjà les entreprises dans leur gestion. A titre d'exemple, il faut savoir qu’à peu près 10% des entreprises seulement n'avaient ne serait-ce qu'un tableau de bord de leurs activités. Lorsqu'arrive une difficulté, si vous n'avez pas d'éléments, si vous n'avez pas les bonnes informations, il est difficile de faire face.
Il ne s'agit pas d'incriminer les entreprises et les dirigeants qui sont tous des gens valeureux, qui travaillent comme il faut. Cependant tout le monde n'a pas forcément toutes les compétences dans tous les domaines et il est important de se faire épauler, accompagner. Ce que met en exergue cette crise c'est cette solitude des dirigeants qui sont désemparés face aux difficultés et à la baisse d'activité.
Il convient donc aujourd'hui de profiter de cette situation pour, justement, s'adapter et corriger le tir.
Quelles actions est-ce que vous conseillez de mettre en place aux entrepreneurs que vous accompagnez, aux entrepreneurs qui sont touchés par cette crise ?
Par rapport à notre clientèle, on a eu peu d'actions à mettre en place, ce qui peut paraître étrange. Mais nos clients ont pu, en travaillant avec nous, consolider leurs capitaux propres donc la solidité de l'entreprise et, finalement, assez peu ont eu recours aux aides de l'Etat, au PGE notamment, même si, bien sûr, elles ont dû faire appel au chômage partiel. Donc, par rapport à nos clients, c'est un peu particulier puisqu’eux étaient mieux armés. En général, ils font même de meilleurs résultats parce que l'entreprise est mieux gérée.
« La première chose à faire c'est de faire un plan de trésorerie afin de mesurer et identifier la volumétrie des besoins à une période donnée »
Cela étant, l'important, l'urgence, c'est la trésorerie. La crise baisse le niveau de revenus, de facturation donc il est important de préserver sa trésorerie. A ce titre, la première chose à faire c'est de faire un plan de trésorerie afin de mesurer et identifier la volumétrie des besoins à une période donnée. Si dans deux, trois ou quatre mois j'aurai besoin de trois mille, quatre mille, cinquante mille ou cent mille euros, il vaut mieux que je le sache aujourd'hui plutôt que de le découvrir au moment où la facture arrive.
Chez Oseys, nous avons développé des outils qui nous permettent d'identifier de manière très rapide la consommation de trésorerie en fonction, d'une part de la baisse d'activité que l'on peut estimer, et d'autre part des mesures qui sont mises en place par l'Etat pour soutenir l'économie. Cela ne remplace évidemment pas le plan de trésorerie mais ça permet déjà d'identifier rapidement le degré de résilience de l'entreprise.
La deuxième action qu'il faut mettre en place, sur laquelle il faut travailler, c'est ce côté accompagnement. Parce que la trésorerie n'est finalement que la résultante des actions de l'entreprise donc il faut bien connaître son entreprise, bien piloter son entreprise. Aujourd'hui, comme je le disais en préambule, les dirigeants ont assez peu de contrôle sur le pilotage de la rentabilité. Quand vous savez, je le rappelle, que seulement 10 % des entreprises ont un tableau de bord, c'est difficile d'être efficace. Et je ne parle que de tableau de bord, je ne parle même pas de maîtrise de rentabilité, de maîtrise des coûts, etc. Il existe pourtant des outils, et je pense naturellement à Pilotage Pro, qui permettent déjà de définir la taille critique de l'entreprise, de savoir si l'entreprise est bien structurée ou pas, de pouvoir prendre les affaires, de travailler comme il faut et dégager de la rentabilité. C'est la différence entre le pilotage à vue et le pilotage aux instruments.
Donc, aujourd'hui, deux axes d'urgence : préserver sa trésorerie, faire un plan de trésorerie, utiliser au maximum et au mieux les aides de l'Etat ; et se restructurer d'un point de vue organisation, mieux comprendre son entreprise parce qu'en comprenant son entreprise on sait quelles sont les actions à faire au quotidien, à court terme sur les affaires, à moyen terme sur le pilotage de la rentabilité de son exercice et à long terme pour se constituer les réserves afin de faire face à des épisodes difficiles. Parce que, certes, aujourd'hui il y a le Covid mais quand ce sera terminé il y aura peut-être autre chose qui arrivera demain. Il faut donc se constituer des réserves.
Justement comment, selon vous, les chefs d'entreprises peuvent-ils préparer l'après et la relance d'activité ?
Il faut réfléchir sur deux axes. Le premier axe c'est une adaptation aux nouvelles exigences du marché. On voit bien que le numérique, aujourd'hui, a beaucoup d'importance. Seulement 30% des entreprises auraient un site internet, ce qui est peu. L'idée n’est pas forcément d'avoir un site internet pour avoir un site internet mais n'importe quel artisan ou commerçant doit être en mesure, aujourd'hui, d'être présent sur le web. C’est indispensable pour pouvoir capter du rendez-vous, pour répondre à des demandes. On parle de Click and Collect et de ces choses-là et, aujourd'hui, n'importe quelle entreprise est capable de faire ça. Ca fait partie des choses qu'il faut travailler et mettre en pour répondre à l'évolution de la demande et il faut investir dans ces éléments-là. Evidemment, investir alors qu’on a moins d’entrée d’argent ça peut questionner mais, en tout cas, il faut se préparer.
« Il faut avant tout maîtriser son entreprise et l'investissement ne peut se faire que si, derrière, vous pouvez dégager de la rentabilité »
D'où l'intérêt, encore une fois, d'être épaulé et accompagné par des professionnels de l'entreprise. Investir c'est, pour moi, nécessaire aujourd’hui. Cependant, encore une fois, il faut avant tout maîtriser son entreprise et l'investissement ne peut se faire que si, derrière, vous pouvez dégager de la rentabilité.
Selon vous, est-il judicieux de se lancer dans la création d’entreprise dans le contexte actuel ou est-il plus sage de reporter son projet ?
Dans toutes les périodes de crise on constate une augmentation des créations d'entreprise. Pourquoi ? Parce que si les gens peuvent avoir des inquiétudes légitimes de se lancer en disant le marché se tend, seront-ils plus en sécurité en tant que salarié dans un groupe ? Si on regarde ce qu’il se passe chez Airbus par exemple, mais aussi chez les autres constructeurs : est-ce que les salariés sont sûrs de maintenir leur poste ? Quelque part, entreprendre c'est faire un choix de carrière. Alors, bien évidemment, je suis un farouche partisan de la création d'entreprise. Je pense qu'il faut prendre son destin en main tout en respectant le choix de chacun, c'est un choix personnel.
« Il faut bien réfléchir à son projet au regard de l'activité que l'on choisit mais c'est, pour moi, un excellent moment pour se lancer dans une activité en tant qu'indépendant »
Evidemment, si aujourd'hui vous devez vous lancer dans une activité de restauration ou dans une activité d'événementiel, il faut poser des questions. C'est donc aussi lié au domaine d'activité, bien évidemment. Mais aujourd'hui il y a des marchés à prendre. Cette évolution de notre système économique, de la demande, fait qu’il y a des nouveaux besoins qui émergent. Il faut bien réfléchir à son projet au regard de l'activité que l'on choisit mais c'est, pour moi, un excellent moment pour se lancer dans une activité en tant qu'indépendant et particulièrement dans le domaine du pilotage et de l'accompagnement des dirigeants.
Juste une petite remarque à ce sujet-là : aujourd'hui dans les pays du sud, dont nous faisons partie en termes de mentalité, le domaine de l'accompagnement est quelque chose qui est assez peu présent sur le marché alors que c'est très ancré dans la culture anglo-saxonne. Ce qui veut dire que, très clairement, il y des places à prendre, il y a des choses à faire. Comme pour toute activité d'indépendant, il faut évidemment travailler, il faut se battre, notamment contre cette mentalité. Mais elle est en train de changer et cette crise fait aussi partie des éléments qui vont obliger les dirigeants à évoluer.
Pour résumer, il y a des secteurs où on peut se lancer, d'autres où il faut peut-être attendre un peu. Si je veux monter une boîte d'événementiel, encore une fois, je ne vais peut-être pas me précipiter mais il est certain que je pourrai le refaire. Cela dit, même dans l’événementiel on voit se développer le côté numérique, le côté digitalisation, donc c'est juste la manière de l'aborder : il faut répondre à la demande.