Devenir franchisé : Le label « Franchise Équitable » et les précautions à prendre
Interview de Maître Charlotte Bellet, avocate spécialisée dans la défense des franchisés
Maître Charlotte Bellet est une avocate spécialisée dans la défense des franchisés et est associée depuis 1995 au sein du cabinet d’avocats Bourgeon Guillin Bellet & Associés (BMGB). Elle a créé avec son associé Rodolphe Perrier en 2017 le label « Franchise Équitable » et propose depuis lors son accompagnement aux franchiseurs qui souhaitent construire un réseau de distribution loyal et équitable. Maître Charlotte Bellet nous explique en détail le concept « Franchise Équitable » et nous livre les principales précautions à prendre avant de s'engager dans un réseau de franchise.
Le cabinet BMGB en quelques mots
Fondé dans les années 1960, le cabinet d’avocats BMGB est spécialisé dans la défense des distributeurs. Il est réputé pour son engagement dans la lutte contre les déséquilibres significatifs existants entre les têtes de réseaux et les distributeurs indépendant. Le cabinet BMGB est à l’origine d’une jurisprudence significative en faveur des distributeurs.Toute la Franchise : Spécialiste de la défense des franchisés, vous accompagnez désormais des franchiseurs. Pourquoi ?
Charlotte Bellet : La raison d’être du cabinet BMGB a toujours été de défendre les franchisés. Cependant, améliorer la situation des franchisés n’implique pas seulement de les représenter en justice mais également de contribuer à créer des modèles de franchise plus justes.
C’est pourquoi je propose mon accompagnement aux franchiseurs qui acceptent de répondre aux conditions de notre label « Franchise Équitable » et qui s’engagent à construire leur réseau sur des bases équilibrées.
En quoi consiste le concept « Franchise Équitable » ?
« Franchise Équitable » est un label élaboré par mon associé Rodolphe Perrier et moi-même. Nous proposons un modèle de franchise qui repose sur la transparence et l’équilibre juridique et économique du partenariat. En choisissant « Franchise Équitable », les franchiseurs s’engagent à jouer le jeu pour que la relation contractuelle soit saine, rentable et pérenne.
Nous demandons aux franchiseurs de s’engager à faire montre d’une complète transparence vis-à-vis des franchisés, au-delà des obligations imposées par la loi Doubin. Nous estimons par exemple qu’il est nécessaire de démontrer précisément la rentabilité du concept et de présenter minutieusement le réseau. Ceci implique notamment de présenter les chiffres d'affaires des franchisés sur l'ensemble de leurs années d'exploitation et l’évolution du réseau depuis sa création. Il s’agit du préalable nécessaire pour que le candidat puisse appréhender concrètement l’efficacité du concept et sa rentabilité. Seules ces informations permettent au candidat de se faire une opinion et de s’engager en toute connaissance de cause dans le réseau.
Nous sommes également attentifs à la durée du contrat, qui doit coïncider avec à la durée des contrats de prêt et de bail commercial.
Nous prohibons les clauses qui, en pratique, déséquilibrent gravement les relations entre franchiseur et franchisés.
Il s’agira par exemple des clauses de solidarité ou de caution par lequel le franchisé engage son patrimoine personnel. Nous considérons que seule la société du franchisé doit être engagée, au même titre que la société franchiseur. Il n’y a pas de raison que le franchisé engage son patrimoine personnel vis-à-vis du franchiseur alors qu’il se porte déjà caution personnelle du prêt bancaire. Il y a là un déséquilibre entre franchisé et franchiseur qui ne se justifie pas.
Nous sommes également opposés aux clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelle, qui ont pour effet d’interdire au franchisé de poursuivre son activité dans son local pendant une durée d’un an, après la fin du contrat de franchise. Ces clauses, que les franchisés acceptent lors de la conclusion du contrat de franchise bien souvent sans en comprendre la portée, signent presque systématiquement la mort de l’entreprise. À la fin du contrat, le franchisé se retrouve anormalement privé de la possibilité de poursuivre son activité et rentabiliser ses investissements et ses efforts. Cela n’a aucun fondement. Le franchiseur peut installer un nouveau franchisé sur le territoire. Dès lors, l’ancien franchisé doit pouvoir poursuivre son exploitation (à partir du moment où il n’utilise pas le savoir-faire du franchiseur et les signes distinctifs de la marque).
Il en est de même des clauses de préemption et d’agrément, lorsqu’elles offrent au franchiseur le droit de renégocier le prix de vente fixé librement par le franchisé. Dans cette hypothèse, il y a un déséquilibre inacceptable. Nous estimons que le franchiseur doit, s’il souhaite exercer un droit de préemption, s’aligner sur le prix négocié entre le franchisé vendeur et l’acquéreur sans faculté de le renégocier.
Nous prohibons également toute clause qui aboutirait à confier la résolution des litiges entre franchisé et franchiseur à un tribunal arbitral dont le coût serait excessivement onéreux. Si le recours à un tribunal arbitral n’est pas dénué d’avantages, notamment celui de résoudre rapidement les conflits susceptibles de survenir entre franchiseur et franchisés, son coût important est parfois inaccessible pour les petites entreprises qui se retrouvent ainsi privées du droit d’accès à un juge.
La saisine du tribunal de commerce est gratuite. Vous payez votre avocat mais vous ne payez pas pour accéder au tribunal de commerce.
Je rencontre en effet très régulièrement des franchisés qui se retrouvent dans l’incapacité de saisir le tribunal arbitral faute de moyens financiers. Récemment, j’ai par exemple été contactée par un franchisé qui devait débourser 52.000 euros pour saisir le tribunal et payer les honoraires des trois arbitres. Il était impossible pour le franchisé de faire face à une telle dépense. Le label « Franchise Equitable » prohibe les clauses d’arbitrage sauf si le coût est accessible.
Quels sont les éléments clés qu’un candidat à la franchise doit prendre en compte avant de signer un contrat de franchise ?
En plus des clauses et des abus précédemment mentionnés, le candidat à la franchise ne doit pas se satisfaire d'une simple réunion avec le franchiseur, au cours de laquelle le réseau lui est évidemment présenté sous un jour favorable, ni se contenter de ce qui est écrit dans le DIP.
Il doit impérativement porter une attention particulière à la personne du franchiseur et prendre le temps de se renseigner sur son passé, ainsi que sur ses moyens matériels, humains et financiers, s'assurer de l’existence réelle d’un savoir-faire, d’une équipe d’animateurs expérimentés qui seront en capacité d’accompagner les franchisés, l’accès à des outils et logiciels efficaces, l’existence d’un site Internet de qualité.
Il doit vérifier tous les éléments qui lui sont communiqués et, bien sûr, faire analyser le bilan du franchiseur par son expert-comptable afin de s'assurer de sa solidité à tous les niveaux.
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Il est également primordial de rencontrer les franchisés dans leurs magasins. L'expérience de ces visites offre une vision réaliste de ce que vaut réellement la franchise, de ses points forts et de ses faiblesses. Cela permet de s’imprégner de l’ambiance, d’évaluer l'achalandage et l'aménagement du magasin, d’observer la satisfaction de la clientèle et, surtout, de discuter avec les franchisés de façon plus libre et transparente que par téléphone.
Ces démarches doivent être réalisées dès la réception du Document d'information préonctractuelle (DIP), du projet de contrat et de la liste des franchisés du réseau. Mon conseil est d’appeler les franchisés existants, se déplacer dans toute la France et de se faire accompagner par un avocat et un expert-comptable qui sauront aider le franchisé à comprendre les enjeux et la réalité du réseau de franchise.
Comment voyez-vous l’avenir de la franchise ?
La franchise est un système aussi intéressant que porteur quand il fonctionne, c’est-à-dire lorsque le partenariat entre franchiseur et franchisés est équilibré d’un point de vue juridique et économique.
Depuis plusieurs années, je constate des mutations à grande échelle qui font craindre pour l’avenir des franchisés.
D’abord, j’ai constaté une augmentation du nombre de franchiseurs qui adoptent une vision à court terme et envisagent la revente de leur réseau dès sa création. Or, en cas de changement de gouvernance, les franchisés peuvent se retrouver à devoir composer avec un gestionnaire de réseau dont les stratégies et les ressources ne sont plus les mêmes, notamment en termes d'approvisionnement, d'animation de réseau et de marketing.
Ensuite, je suis très régulièrement sollicitée au sujet des ventes réalisées par les franchiseurs sur leurs sites internet marchands et suis convaincue que, dans les deux à trois prochaines années, nous allons véritablement mesurer les répercussions négatives, voire dramatiques, de l'essor du commerce en ligne sur les magasins franchisés.
Nombre de franchisés voient en effet leurs franchiseurs, via leurs sites internet marchands, vendre directement leurs produits et services sur leurs territoires exclusifs, ce qui impact lourdement la fréquentation de leurs points de vente et leur chiffre d’affaires. Pour palier cette pratique délétère, la seule solution qui me parait viable est de répartir le chiffre d'affaires du site marchand au sein du réseau sur une base géographique, afin que le franchisé sur le territoire duquel une vente en ligne est réalisée profite du chiffre d’affaires généré.
Les franchisés qui me contactent ne profitent malheureusement pas de cette répartition du chiffre d'affaires ou, pour les rares qui en bénéficient, n’ont aucun moyen de vérifier qu’elle est conforme à la réalité des ventes, faute de transparence du franchiseur. A titre d’exemple, nous avons récemment traité un dossier dans lequel le franchiseur ne déclarait qu’une infime partie du chiffre d’affaires réalisé sur les territoires des franchisés et avons pu démontrer qu’il détournait 70% des recettes qui devaient leur revenir.
Il est donc nécessaire d’organiser au sein du réseau un moyen de contrôle au profit des franchisés qui permettrait de vérifier que 100 % du chiffre d’affaires encaissé par le franchiseur est réparti sur le territoire et entre les franchisés concernés.
Sous réserve d’écarter les abus précédemment énumérés, et à condition que franchiseurs et franchisés s’engagent dans une dynamique équitable et profitable pour les deux parties, la franchise se révèle être un modèle de distribution exceptionnel qui s'applique à tous les secteurs de l'économie.
Je suis donc convaincue que la franchise peut avoir un magnifique avenir devant elle, et c'est précisément pour cette raison que nous avons imaginé le label « Franchise Équitable ».
À propos
Maître Charlotte Bellet
Avocate associée cabinet BMGB
>> En savoir davantage sur le label Franchise Equitable sur le site du cabinet BMGB
Pour aller plus loin, voir l’intervention de Maitre Charlotte Bellet dans le cadre du colloque sur le déséquilibre significatif en droit de la franchise organisé en janvier 2023 par la Cour de cassation ⇓