Tête de réseau : comment gérer les risques sociaux tout en respectant les nouvelles directives européennes ?
Les nouvelles directives européennes, la CSRD et la CS3D, vont bientôt imposer de nouvelles obligations aux entreprises en matière de transparence et de responsabilité sociétale. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les entreprises ?
La CSRD : vers une transparence accrue
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) va obliger certaines entreprises à publier un rapport de durabilité basé sur des critères extra-financiers, à savoir les critères ESG (environnement, social, gouvernance). C’est une avancée majeure vers plus de transparence et une opportunité stratégique pour orienter l’économie vers la durabilité.
La CS3D : un devoir de vigilance étendu
En parallèle, la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), qui doit être transposée d’ici 2026 et mise en œuvre progressivement jusqu’en 2029, - ce qui va nécessiter une adaptation de la loi française du 27 mars 2017 - impose aux grandes entreprises de surveiller et de corriger les impacts environnementaux et sociaux tout au long de leur chaîne de valeur (leurs partenaires en amont et en aval). Cela inclut des aspects comme la déforestation, la pollution, le travail des enfants et la sécurité au travail.
Cette directive étend également le devoir de vigilance aux entreprises plus petites, notamment celles impliquées dans des accords de franchise ou de licence, lorsque ces accords garantissent une identité commune, un concept commercial commun et l’application de méthodes commerciales uniformes.
Cas de jurisprudence et risques juridiques liées à ces règlementations
À ce jour, si seule La Poste a été condamnée en France pour manquement au devoir de vigilance, en raison de l’insuffisance des procédures d’évaluation de ses sous-traitants (TJ Paris, 5 décembre 2023, n°21/15827, appel en cours), ce type de contentieux est émergent et pourrait rapidement se développer, incitant ainsi les entreprises à se conformer rapidement.
Cependant, il est crucial de préserver le modèle spécifique de la franchise, où le franchiseur communique son savoir-faire avec des franchisés indépendants. Or, les têtes de réseau peuvent être confrontées à certains risques juridiques en matière de droit social. Sans être exhaustif sur ces risques, il s’agit de se demander si une tête de réseau s’expose à des risques accrus en matière de droit social lorsqu’elle met en œuvre la CSRD ou la CS3D ?
Les risques liés à l’Unité Economique et Sociale (UES)
La notion d’unité économique et sociale (UES), remettant en cause l’indépendance du franchiseur et des franchisés, a été débattue dans le contexte de la franchise. Par exemple, dans l’arrêt Mac Donald’s (Cass. Soc. 17 mai 1994, 93-60.394), la Cour de cassation a reconnu l’existence d’une UES en raison de la concentration des pouvoirs de direction entre les mains des mêmes dirigeants et de l’identité des conditions de travail, de rémunération et de statut social des salariés ainsi que leur permutabilité.
Toutefois, pour qu’une UES soit reconnue, il faut prouver une communauté de travailleurs. Sans preuve de conditions de travail similaires et de permutabilité du personnel, l’UES ne peut pas être reconnue, comme le montre la jurisprudence (Cass. Soc. 5 janvier 2022 n° 20-14.545).
Les risques de requalification de contrats de franchise en contrats de travail
Des actions en requalification de contrats de franchise en contrat de travail ont également été intentées. Par exemple, la Cour de Cassation a pu considérer qu’un « [franchiseur] avait, selon les stipulations du contrat de franchise, imposé [au franchisé] des obligations détaillées et applicables de bout en bout dans les relations avec les clients, renforcées ensuite par des instructions tout aussi détaillées ». Le Franchisé ne disposait d'aucune autonomie et qu'en résiliant le contrat [de franchise], le [franchiseur] avait fait usage de son pouvoir de sanction », si bien que « le [franchisé] se trouvait dans un lien de subordination à l'égard [du franchiseur] », caractérisant un contrat de travail (Cass. Soc. 18 janvier 2012 n° 10-16.342).
Le risque de coemploi
Le risque de coemploi, bien que rare, existe, si une société s’immisce de manière permanente dans la gestion économique et sociale d’une autre. En l’absence d’un lien de subordination, une société ne peut être considérée comme coemployeur du personnel d’une autre société que si, au-delà de la coordination nécessaire de leurs actions économiques et de la domination économique résultant de leurs relations commerciales, il y a une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de l’autre. Cette immixtion doit être telle qu’elle conduit à une perte totale d’autonomie de la société employeur dans ses décisions (Cass. Soc. 9 octobre 2024 n°23-10488).
Cette notion de co-emploi permet aux salariés de la société franchisée d’obtenir la condamnation solidaire de leurs employeurs (sociétés franchiseur et franchisé) au versement des indemnités liées à la perte de leur emploi.
Un exemple de co-emploi lié au non-respect de l’indépendance entre franchiseur et franchisé
Ainsi, une situation de co-emploi a-t-elle pu être caractérisée à la suite d’une délégation de pouvoir par le représentant légal de la société franchisée au profit du gérant de la société franchiseur. Plus précisément, cette délégation de pouvoirs concernait la gestion du personnel, y compris l’exercice du pouvoir hiérarchique et du pouvoir disciplinaire, ainsi que le respect de la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité et, plus généralement, le respect du droit du travail notamment dans le domaine de la sous-traitance et du travail temporaire. Elle comportait également un pouvoir de signature du franchiseur sur les comptes bancaires de la société franchisée et un pouvoir de représentation générale auprès des tiers en faveur du gérant franchisé. Pour les juges, ces éléments caractérisaient un lien de subordination direct entre le salarié de la société franchisée et la société franchiseur. Cette dernière a ainsi été condamnée solidairement avec la société franchisée à payer à ce salarié les dommages et intérêts liés à son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Précisons néanmoins qu’il s’agit d’un arrêt d’espèce mais qui rappelle l’importance de respecter l’indépendance des parties dans une relation de franchise en matière de droit du travail (CA Grenoble 5 janvier 2021, RG n°17/03329).
Défis et opportunités de ces nouvelles directives
En résumé, les nouvelles directives européennes présentent à la fois des défis et des opportunités pour les entreprises. Elles encouragent un changement de paradigme en intégrant la durabilité comme critère essentiel de performance et en renforçant la marque-enseigne auprès des collaborateurs, des clients et des investisseurs. Force est de constater que la collecte d’indicateurs extra-financiers ou la co-construction d’un plan de vigilance ne suffisent pas à faire de la tête de réseau l’employeur des salariés des franchisés. Ces actions, bien qu’importantes pour la conformité et la responsabilité sociétale, ne créent pas de lien de subordination ni d’immixtion permanente dans la gestion sociale des franchisés. Ainsi, la tête de réseau ne peut pas être considérée comme l’employeur direct des employés des franchisés.
Cela étant, une tête de réseau qui, après une analyse de risques matériels, souhaiterait fixer un objectif pour prévenir, atténuer ou supprimer tel ou tel risque en matière de droit social au sein de son réseau, devra préserver l’indépendance de ses franchisés dans leur gestion sociale. Autrement dit, la tête de réseau pourra établir des indicateurs, recourir à des tiers certificateurs (labels), obtenir des informations de la part des franchisés afin de mettre en œuvre son plan de transition, sachant que les actions liées à la gestion des ressources humaines du point de vente incomberont exclusivement aux franchisés-employeurs. Mais comment concilier indépendance des franchisés en droit social et conformité à ces nouvelles obligations ?
C’est ce que nous verrons dans notre 3e épisode.
Christophe GRISON
Avocat en Droit de la distribution, concurrence, consommation
Cabinet d’avocats Fidal
Membre du Collège des Experts de la Fédération française de la franchise
Cabinet d’avocats Fidal