Tête de réseau : subir la CSRD ou agir pour en faire un levier stratégique ?
La directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (dite Directive CSRD) fait l’objet de contestations notamment du milieu des affaires à tel point que la Commission européenne a annoncé, en novembre dernier, la réouverture de trois grandes législations environnementales, à savoir la CSRD, la CS3D et le règlement européen sur la taxonomie afin de réduire les obligations de déclarations des entreprises. Certaines voix se sont en effet élevées au prétexte que ces règlementations empêcheraient la compétitivité des entreprises alors que d’autres y voient une façon d’assurer la pérennité des entreprises en adaptant leurs modèles d’affaires aux enjeux actuels et à venir.
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Nous mentionnerons ci-dessous 3 points permettant de saisir les opportunités stratégiques de la CSRD, même si votre entreprise n’y est pas (encore) soumise.
L’adoption de la CSRD est liée à un contexte spécifique en Europe qui invite les entreprises à orienter leur stratégie en intégrant pleinement ce contexte.
Quel est ce contexte ?
Le dépassement de 6 (presque 7) des neuf limites planétaires, qui sont l’espace sûr et juste de la vie humaine sur Terre9. Au-delà des seuils fixés, les équilibres naturels terrestres sont déstabilisés et deviennent défavorables à l’humanité. Or, les incertitudes sur l’avenir de l’humanité ont des impacts sur les activités économiques.
Il est naturel de se dire que le rôle d’un chef d’entreprise est avant tout d’assurer la rentabilité et la pérennité de son activité commerciale qui permet l’emploi de dizaines voire de milliers de personnes. Il est dès lors tentant de continuer à travailler « business as usual » alors même que l’activité commerciale peut être perturbée par des ruptures d’approvisionnement de matières premières, des catastrophes environnementales, des mouvements sociaux, la perte de sens et d’engagement des talents…
Comment prendre pleinement en compte ce contexte dans une stratégie d’entreprise ?
Il est nécessaire de s’approprier ce contexte afin de le prendre en compte dans la stratégie d’entreprise. En en prenant conscience, le dirigeant peut sortir de ses modes habituels de fonctionnement et ainsi saisir l’opportunité stratégique de la CSRD en se questionnant sur sa stratégie, les actions à mettre en place afin de maintenir la performance de son entreprise. Et s’interroger sur les conséquences à moyen ou long terme sur la performance de l’entreprise en cas de non prise en compte de ce contexte ?
La CSRD (mais également les autres règlementations précitées et celles prises au niveau national telles que la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) du 10 février 2021) vont notamment bouleverser les modes de production, de commercialisation des produits et services et de consommation.
Comment est-ce possible ?
Dans le contexte d’impacts négatifs de l’activité humaine sur la planète, la réglementation européenne, souhaite atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Les obligations liées à la CSRD, notamment en ce qu’elles impliquent une obligation de transparence accrue des acteurs économiques sur toute leur chaîne de valeur, vont participer à réorienter les flux financiers vers des activités plus durables. La CSRD harmonise la publication d’informations pour permettre aux investisseurs, aux médias et plus globalement au grand public de comparer les entreprises entre elles en fonction de :
- leur impact sur l’environnement et la société,
- la manière dont les enjeux de durabilité (dits ESG : Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) affectent l’entreprise elle-même.
Mais la CSRD est également un instrument à destination de l’entreprise qui l’aide à répondre à ces questions :
- Quels sont les impacts produits par l’entreprise sur les sujets ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ?
- Comment les grands enjeux ESG actuels et à venir impactent l’activité de l’entreprise ?
- Que fait ou fera l’entreprise pour adresser ces situations en lien avec ses parties prenantes et quelle est sa feuille de route ?
La CSRD offre ainsi un cadre aux entreprises pour se poser des questions sur les enjeux de durabilité au sein de leur chaîne de valeur et avec leurs parties prenantes et leur permet de questionner leur stratégie et leur modèle d’affaires pour réussir leur transition.
Quid des entreprises non soumises à la CSRD ?
Même les entreprises non soumises à la CSRD devraient se poser ces questions car elles permettent de tester la robustesse de leur modèle d’affaires et la résilience de leur activité.
Les dirigeants pourront ainsi décider quelles transformations (prioritaires) mener afin d’intégrer les enjeux ESG qui vont indéniablement impacter leurs entreprises à l’avenir.
La CSRD est une véritable feuille de route pour arbitrer les investissements et les actions. C’est en somme naviguer avec une vision élargie à 360° sur toute la chaîne de valeur de l’entreprise pour l’orienter en prenant en compte les enjeux extra-financiers, aux côtés des enjeux financiers.
Au-delà de l’entreprise, des enjeux communs de filières vont émerger et devront être analysés et intégrés pour assurer la survie ou la réorientation nécessaire des activités et des modèles d’affaires des entreprises concernées. Anticiper ces évolutions sera clé.
Une mise en cohérence des actions et des initiatives des têtes de réseau avec les enjeux liés à la CSRD.
Les critères ESG concernent toutes les activités d’une entreprise : le social, l’environnemental et la gouvernance. 70 % des dirigeants de grandes entreprises estiment que la CSRD va être motrice de changement11. 72 % indiquent que cela va avoir un impact sur leur modèle d’affaires. Les modèles de plateforme, la circularité sont les plus évidents et connus puisque déjà mis en œuvre.
Les réseaux de distribution ont entrepris de nombreuses actions et initiatives concrètes pour faire évoluer leur concept. La CSRD peut ainsi leur permettre de prendre des actions leur permettant de : renforcer la résilience de toute leur chaîne de valeur et d’approvisionnement, assurer la continuité des investissements et du développement du réseau, répondre aux aspirations des clients et des talents, renforcer la marque enseigne, développer la circularité, l’innovation et les compétences futures et assurer la pérennité de l’enseigne sur le long terme12.
Ainsi, la mise en cohérence des actions et initiatives prises par la tête de réseau avec les enjeux liés à la CSRD permet de renforcer les modèles d’affaires et la performance du réseau.
Certaines entreprises commencent déjà à faire évoluer leur modèle d’affaires et à prendre des décisions qui peuvent parfois être à contre-courant des modes de pensées traditionnels. C’est ainsi que le groupe Easy Cash, exprime des ambitions fortes lors de la Convention des Entreprises pour le Climat : l’arrêt de la vente de produits neufs, pour devenir l’acteur incontournable de la transition vers une économie circulaire. Sa directrice générale s’appuie sur des leviers de redirection, comme par exemple : une gouvernance active et engagée qui intègre les enjeux de durabilité au plus haut niveau en pilotant l'entreprise au-delà des seules considérations financières, encourager chacun à s'engager au service d'initiatives locales vertueuses, permettre à chaque point de vente de proposer une offre de service pour allonger la durée de vie des produits, développer des coopérations durables tout au long de sa chaîne de valeur, rendre le citoyen acteur de sa consommation, faire de ses magasins des lieux d'échange et de partage et de promotion de la seconde vie.
La CSRD, tout comme les autres règlementations liées au Pacte vert, ont pour ambition de faire émerger de nouveaux modèles d’entreprises préservant le vivant et la planète. De passer des automatismes à des modèles d’affaires prenant notamment en compte les enjeux de durabilité. La CSRD offre des opportunités pour définir un cadre d’actions dans un plan de transition progressif car tout ne pourra pas être mise en œuvre immédiatement mais il est certain que l’intelligence collective des réseaux de distribution est l’un de leurs atouts. Nul doute qu’elle leur permettra de relever ces défis.
Christophe GRISON
Avocat en Droit de la distribution, concurrence, consommation
Cabinet d’avocats Fidal
Membre du Collège des Experts de la Fédération française de la franchise
Fondatrice de Nouvo Possibles