Le nudge et le marketing : vieux concept, nouvelle tendance
Zoom sur une tendance du marketing moderne
Face au concept d’homo oeconomicus, rationnel et agissant exactement comme on pourrait s’y attendre, une théorie alternative s’est développée depuis 40 ans et a été consacrée en 2017 par un « Nobel » d’économie : l’économie comportementale. Le concept de nudge est issu de cette théorie économique et a été popularisé en 2008. Depuis cette date, le nudge est petit à petit devenu une tendance de fond des pratiques de communication et de marketing, d’abord dans le public puis, de plus en plus, dans le privé. Qu’est-ce que le nudge ? Quels sont les exemples célèbres de nudge ? Comment intégrer le nudge dans ses stratégies marketing ? Eléments de réponse.
Nudge : histoire et définition
Nudge et économie comportementale
Depuis le 18e siècle et la publication de l’ouvrage fondateur d’Adam Smith, La Richesse des nations, les sciences économiques fondent leurs théories sur la base d’un homo oeconomicus, sorte d’agent rationnel dépersonnalisé dont les réactions sont logiques, prédictibles et fondées sur une analyse objective de la situation. On perçoit évidemment la fragilité d’un tel modèle. C’est justement de la perception de cette fragilité qu’est née, il y a une cinquantaine d’années, l’économie comportementale (behavioral economics).
Utilisant les avancées en psychologie expérimentale, l’économie comportementale a pu mettre en évidence l’impact, dans les décisions économiques des agents, de nombreux biais, tant cognitifs que sociaux, environnementaux, moraux, de conformité, etc. En définitive, l’économie comportementale a identifié une trentaine de biais (des erreurs de jugement, si l’on se place d’un point de vue rationnel) qui influence les décisions des agents économiques.
C’est sur la base de plusieurs années de recherche en économie comportementale que Richard Thaler, économiste, et Cass Sunstein, philosophe, publient un ouvrage : Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision. L’ouvrage fait date et le concept connaît immédiatement un succès retentissant. Au point que, la même année, Barack Obama nomme Cass Sustein chef de l’autorité des régulations de son gouvernement et fonde la première « Nudge unit » de l’histoire. Rapidement, la Grande-Bretagne emboîte le pas des Etats-Unis puis est suivie par le Danemark, la Nouvelle-Zélande, etc.
Définition du nudge
Littéralement, nudge signifie « petit coup de coude » ou « encouragement ». Et c’est exactement le principe. Prenant compte des différents biais qui impactent les prises de décision des agents, les nudges sont des coups de pouces incitatif facilitant et orientant la réalisation d’une intention. En d’autres termes, les nudges ont pour fonction de modifier les comportements des cibles, de façon douce.
Concrètement, utiliser les nudges consiste à organiser l’environnement de choix des individus pour les aider à atteindre leurs propres objectifs.
Quelques exemples de nudges
L’aéroport d’Amsterdam
L’exemple de nudge le plus célèbre est celui qui a été utilisé par les gestionnaires de l’aéroport d’Amsterdam. Des mouches ont été dessinées dans les urinoirs en partant du principe que cela allait inciter les hommes à contrôler leur flux pour viser la mouche. Les résultats ont prouvé la puissance du nudge puisque les dépenses (en temps et en argent) liées au nettoyage des sanitaires pour hommes ont baissé de 80% suite à cette opération !
Google
Un autre exemple est assez classique de l’usage du nudge et peut être utilisé par des entreprises spécialisées dans le rééquilibrage alimentaire. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le géant du web Google dans ses cantines, comme nous le verrons plus loin.
Imaginons une personne qui souhaite maigrir et qui mesure ce qu’elle consomme. Ses 30 grammes de céréales paraîtront ridicules dans un grand bol. La personne aura donc faim après avoir mangé. Inversement, si elle s’équipe de petits bols, ils seront remplis par les 30 grammes de céréales. Résultat : le sentiment de satiété est plus facilement atteint !
Afin d’inciter ses collaborateurs à réduire les quantités consommées lors de leurs déjeuners dans ses cantines, le géant du web Google a tout simplement changé ses services : avec des assiettes plus petites, les salariés se servaient moins. De grandes assiettes demandent à être remplies ! Rappelons que l’obésité est un fléau aux Etats-Unis…
En matière de politiques publiques
Les Gouvernements et les fournisseurs d’énergie utilisent beaucoup le nudge pour inciter les contribuables/consommateurs à modifier leurs comportements.
2 exemples :
- Pour inciter les foyers à réduire leur consommation d’énergie, il suffit, dans la facture, d’intégrer un graphique comparant la consommation du foyer avec la moyenne nationale. En valorisant la norme sociale (biais de conformité), on incite discrètement les consommateurs à s’y conformer.
- C’est le même principe qui est utilisé par les impôts pour inciter les contribuables à télédéclarer leurs revenus : en intégrant dans la feuille de déclaration d’impôts le pourcentage de contribuables qui ont déjà adopté le dispositif, on incite les autres à se conformer à ce choix.
Utiliser le nudge dans ses stratégies marketing
Dans les années 90/2000, une marque américaine de soupe en conserve a doublé ses ventes sur une opération promotionnelle de manière très simple. Auparavant, la promotion consistait simplement en une réduction de 0,1$ par boîte. Pour augmenter la performance de cette opération, la marque a simplement ajouté un panneau indiquant que l’offre était limitée à 12 boîtes par personne. Voilà une application concrète du nudge.
Mais il existe bien d’autres applications du nudge en marketing. Ainsi :
- Les offres limitées en nombre ou dans le temps sont des nudges.
- Les indications sur le stock restant, sur un site e-commerce par exemple, c’est du nudge.
- La mise en avant du taux de satisfaction client, c’est du nudge.
- Etc.
En clair : de nombreuses entreprises sont comme Monsieur Jourdain et font du nudge marketing sans le savoir ! Pourtant, aujourd’hui plus que jamais il est pertinent d’intégrer le nudge de manière consciente dans toute stratégie marketing. Et ce, non seulement pour coordonner les actions et nudges mis en place mais aussi pour améliorer le ROI des stratégies marketing.
Cela demande néanmoins une connaissance approfondie des motivations de ses clients et prospects. En effet, le nudge ne peut pas conduire un consommateur à faire quelque chose qu’il ne veut pas : c’est un coup de pouce destiné à faciliter, orienter et concrétiser une intention. Il est également nécessaire d’analyser le parcours d’un consommateur (sur un site internet, en magasin, etc.). Et ce, afin de placer les nudges aux bons endroits, aux bons moments. Enfin, il peut être intéressant de se plonger dans les travaux de la psychologie comportementale, les ouvrages fondateurs sur le nudge. Et ce, afin d’identifier de manière précise les biais à exploiter pour favoriser les ventes. Il est en effet absurde et probablement contre-productif de se contenter de « copier » des nudges utilisés par d’autres organisations ou entreprises.
En ce sens, le big data, bien qu’il ne soit pas indispensable, peut devenir un puissant outil permettant d’identifier avec précision quel nudge utiliser à quel moment et à destination de quelle cible afin d’augmenter considérablement le ROI des opérations et stratégies marketing.