Cas de jugement sur une rupture brutale de relations commerciales établies
Cour d’appel de Versailles, 3 juillet 2012, RG n° 10/08577
En 1994, une centrale de référencement d’un groupe de distribution (la société M.) entre en relation avec un négociant concernant l’acquisition de vins rosés, ce dernier jouant ainsi le rôle d’un acheteur-revendeur.
A partir de 2002, la société M. décide d’acheter le vin directement auprès de l’exploitant (la société E.). Durant les cinq années suivantes, la société E. approvisionne la société M. en « fond de rayon » puis, en mars 2007, cette dernière informe son partenaire qu’elle lui préfère les produits d’un concurrent, et que désormais le vin produit par la société E. fera l’objet d’un approvisionnement saisonnier. En janvier 2008, les choses évoluent de nouveau et la centrale de référencement fait part à son partenaire de son souhait de mettre un terme à leur relation, laquelle cessera à la fin de l’été 2008.
C’est dans ce contexte que la société E. intente une action à l’encontre de la société M. pour rupture brutale de relations commerciales établies et réclame ainsi l’indemnisation du préjudice dont elle se prétend victime.
L’exploitant se fonde sur l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce qui prévoit qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers […] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Il est en effet nécessaire, en cas de rupture d’une relation commerciale établie, de respecter un délai de prévenance suffisant.
En l’espèce, la société E. considérait que, vu la durée de leur relation, la durée minimale de préavis n’avait pas été respectée. Le caractère établi de la relation commerciale et la durée de celle-ci ont ainsi fait débat.
La société M. soutenait notamment le fait que, en raison du testage annuel d’un échantillon du vin produit par l’exploitant, ce dernier ne pouvait se prévaloir d’une relation commerciale établie.
Les juges du fond ont cependant relevé que la société M. n’apportait pas les éléments démontrant le fait qu’elle aurait effectivement procédé à une mise en concurrence des vins proposés par la société E. avec ceux d’autres concurrents. Le testage annuel du vin devait ainsi être analysé comme un contrôle de la qualité des vins et le renouvellement des marchés attestait du caractère établi des relations commerciales.
En ce qui concerne la durée des relations, il a été considéré que même si les partenaires étaient indirectement en relation depuis 1994, du fait de l’intervention de la société de négoce, seule la durée de leur relation directe influait sur la durée du préavis à respecter. Ainsi, le fait pour la centrale d’annoncer à son partenaire au mois de janvier que leur relation, qui avait duré six ans, cesserait fin août, était une durée de préavis suffisante au regard des usages et de la durée de la relation, l’exploitant disposant ainsi du temps nécessaire pour retrouver un nouveau partenaire pour le prochain cycle de production attaché au domaine viticole.
Il ne pouvait par ailleurs, contrairement à ce que prétendait l’exploitant, être reproché à la société M. d’avoir continué à passer d’importantes commandes durant la période de préavis, lesquelles s’expliquaient notamment en raison des récompenses reçues par l’exploitant.
Enfin, l’exploitant invoquait également l’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce qui dispose que « Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur », étant considéré comme un produit vendu sous marque de distributeur, « le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu » (article L.112-6 du Code de la consommation).
Or, en l’espèce, la société M. avait indiqué à plusieurs reprises à l’exploitant qu’elle ne souhaitait pas que les produits qui lui étaient adressés fassent l’objet d’un habillage spécifique. De plus, le prétendu étiquetage spécialement réservé à la société M. ne comportait pas la mention de la marque de cette dernière. Il ne s’agissait donc pas de produits vendus sous la marque de distributeur et la durée du préavis à respecter n’avait pas lieu d’être doublée.
Il résulte ainsi de la position adoptée par les juges du fond que la centrale de référencement a parfaitement respecté les dispositions légales et réglementaires qui s’appliquent en cas de rupture de relations commerciales établies, ce qui a conduit l’exploitant à être débouté de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnisation pour non-respect de la durée minimale du préavis.