Loi Travail El Khomri : cet amendement qui fait trembler la franchise
Loi Travail : Les réseaux de franchises devront ils se doter d’un comité d’entreprise
Parmi les 469 amendements intégrés dans la dernière version du projet de Loi Travail – celle que le gouvernement a fait adopter en recourant au 49-3, il en est un qui émeut particulièrement le monde de la franchise. Il s’agit de l’amendement n°1721[1] déposé par les « Frondeurs » du PS et qui implique la création d’une instance de dialogue au sein des réseaux de franchise.
Cet amendement est lourd de conséquences pour les réseaux de franchise qui, dès lors qu’ils atteignent 50 salariés (franchiseur et franchisés compris), auront à mettre en place une instance de dialogue, une instance représentative du personnel (IRP) qui s’apparente fortement à un comité d’entreprise. Cette IRP a, pour les auteurs du texte, vocation à améliorer « la situation des 350 000 salariés de ces réseaux de franchise, notamment par la mise en place d’une représentation dont ils sont actuellement injustement privés ».
Soutenu par 14 députés, cet amendement vient compléter l’article 29 (article 29 bis A) du projet de Loi Travail[2] et met en péril le principe d’indépendance juridique entre franchiseur et franchisés qui fait la force du système de la franchise. Il matérialise les intentions manifestées par le groupe des "Frondeurs" du PS dans leur projet de contre-réforme à la Loi Travail[3] qui vise notamment à « Redonner de la sécurité dans une économie désormais "éclatée" ». Dans ce document, la franchise est présentée comme une source de précarisation de l’emploi : « Plus que la division "insiders/outsiders", c’est désormais la différence de situation entre les salariés des grands groupes donneurs d’ordre ou des franchiseurs, et ceux des entreprises sous-traitantes, franchisées, et des travailleurs indépendants externalisés…qui constituent le vrai fossé entre sécurité et précariat. »
Ainsi cet amendement vise clairement à contraindre le franchiseur à endosser un statut de co-employeur qui lui attribuerait des obligations vis-à-vis des salariés de ses franchisés : « L’extension de la notion de co-employeur permettrait aux "sous-traités" d’avoir en face d’eux les sociétés et les groupes qui détiennent en réalité une bonne part du lien de subordination et du pouvoir économique, et donc de leur destin professionnel. » Une démarche louable mais qui, en instaurant un lien direct entre le franchiseur et les salariés des entreprises franchisés, va en l’encontre du principe même d’indépendance qui fait la force et le succès de la franchise.
Concrètement, au seuil des 50 salariés, le franchiseur aura en charge la mise en place d’une instance de dialogue composée d’un représentant du franchiseur, d’un représentant des franchisés et d’un nombre de représentants des salariés variant en fonction de la taille de l’effectif total du réseau. A l’instar d’un comité d’entreprise classique, les représentants élus jouiront d’une protection contre le licenciement (durant la durée de leur mandat et 6 mois après son échéance) et d’un temps imparti à leur fonction (20 heures de délégation mensuelles), ce qui pourrait bien être problématique si le salarié est employé au sein d’une petite entreprise franchisée.
L’instance devra également être informée de la situation économique et financière du réseau chaque trimestre. Une obligation d’information qui va à nouveau à l’encontre du principe d’indépendance. Le franchiseur aura aussi à présenter les prévisions annuelles et pluriannuelles et les actions envisagée pour pallier les éventuelles difficultés prévues. Pour favoriser la mobilité professionnelle, les franchisés devront transmettre à l’instance leur besoin en matière d’emploi afin que celle-ci centralise et communique aux salariés du réseau les postes à pourvoir sur l’ensemble du territoire. Le franchiseur ou franchisé amené à licencier pour motif économique sera également soumis à une obligation de reclassement portant sur l’ensemble du réseau. Enfin, ce texte prévoit la possibilité de constitution d’une représentation syndicale au sein des réseaux.
En résumé, ce texte, crée une instance de dialogue censée faciliter les échanges entre les salariés de franchisés et les têtes de réseau. Bien qu’estimable, cette démarche est périlleuse. Si le modèle de la franchise connait un tel engouement auprès des entrepreneurs c’est en partie en raison de sa souplesse et de la possibilité qu’il offre de créer une entreprise en profitant d’un concept éprouvé, d’un savoir-faire et de la marque du franchiseur. Le franchisé est cependant un chef d’entreprise indépendant. Avec la constitution d’une telle instance, instaurant un lien direct entre le franchiseur et les salariés des entreprises franchisées du réseau, les franchises peuvent dès lors être assimilées à de classiques succursales. Cette situation va donc à l’encontre même du principe de la franchise qui repose sur un contrat entre deux entités indépendantes juridiquement (le franchiseur et le franchisé). D’autant plus que le texte cite les réseaux de franchise sans évoquer les autres formes de commerce organisé comme la concession, licence de marque, coopérative, commission-affiliation, etc (cf. Les différentes formes de commerce organisé).
Passé en force à l’Assemblé par l’emploi du 49-3, le projet de loi El Khomri va maintenant être soumis à l’examen du Sénat. Il devrait alors subir de nouvelles modifications avant une nouvelle présentation à l’Assemblée, à moins que la commission mixte paritaire arrive à se mettre d’accord sur une version commune du projet de loi. Dans tous les cas, cet article 29 bis A introduit par l’amendement déposé par les députés PS, n’est pas figé et sera très certainement amené à être modifié, voire supprimé.
Mise à jour le 02 juin 2016 : La commission des affaires sociales du Senat supprime purement et simplement l’article 29 bis A du projet de Loi Travail (cf. Loi Travail et franchise : la commission des affaires sociales du Senat retoque l’article 29 bis A)
Mise à jour le 1er juillet 2016 : La Commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale rétablit l'article 29 bis A dans une version allégée avant un nouveau passage du projet de loi Travail devant l'Assemblée (cf. Loi travail et franchise : le retour de l’article 29 bis A)
[2] Le texte complet du projet de Loi Travail sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité en recourant au 49-3 (voir article 29 bis A page 170) :
[3] L'avenir du Travail – La « contre-réforme » du droit du travail proposée par les "Frondeurs" (voir F page 9) :