Tribune de Maître de Balmann, avocat associé-gérant du cabinet D, M & D et coordinateur du collège des experts de la FFF
Ce mercredi 21 mars 2018, le Conseil Constitutionnel vient de rejeter le recours introduit par les trois groupes des députés de gauche de l’Assemblée Nationale (socialistes, communistes et insoumis) à l’encontre du projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social, notamment en ce qu’il abroge l’instance de dialogue dans les réseaux de franchise.
Rappelons ici que, profitant d’une fenêtre de tir ouverte à l’occasion de la ratification des ordonnances travail, c’est le Parlement qui a pris l’opportune initiative d’ajouter au texte gouvernemental un amendement abrogeant l’instance de dialogue dans les réseaux de franchise que l’article 64 de la loi El Khomri avait créée.
C’est ainsi que la commission mixte paritaire réunie le 31 janvier dernier avait adopté un amendement que le rapporteur du texte au Sénat, Monsieur Alain Milon, avait approuvé, en soulignant que « cette instance est pour le moins atypique, dans le mauvais sens du terme. (…). Le franchiseur ne saurait être tenu pour responsable des choix faits en matière d’organisation du travail par ses franchisés, la relation qu’il entretient avec eux étant de nature purement commerciale..
Et Monsieur Milon de rappeler que, un an auparavant : « Notre commission, sur l’initiative de Jean-Marc Gabouty, qui était alors son rapporteur, avait supprimé cette disposition lors de l’examen de la loi Travail, et le Sénat avait partagé sa position. »
De son côté et en qualité de membre de la commission mixte paritaire, Monsieur le député Gérard Cherpion avait pu faire part des doutes qu’il avait exprimés en commission des affaires sociales lors de l’examen de la loi El Khomri, lorsqu’il avait – malheureusement en vain à l’époque – invité les Pouvoirs Publics à « bien distinguer deux étages dans cette affaire. Il y a l’étage de l’entreprise franchisée, où un dialogue social peut et doit s’instaurer, conformément au droit du travail en vigueur, en fonction du nombre de salariés. Mais, avec cet amendement, vous voulez ajouter un étage supplémentaire en regroupant les entreprises à un niveau supérieur, sous prétexte de calquer les choses sur un groupe. Or nous avons affaire non pas à un groupe, mais à des gens qui sont responsables sur leurs biens personnels, dans leur entreprise. (…) Il y a effectivement des difficultés. Mais, en créant ce nouvel étage, on va complexifier les choses et on risque même d’avoir un décalage, voire des incompatibilités ou des interférences, entre le niveau de l’entreprise et le niveau du réseau de franchise ».
Pour sa part, Madame la Ministre du Travail avait déploré que « le dispositif mis en place en 2016 pour favoriser le dialogue social dans le secteur de la franchise n’ait pu être rétabli en commission mixte paritaire », estimant que cette abrogation s’inscrivait « à contre-courant de la philosophie de la réforme, laquelle tend à renforcer le dialogue social sous toutes ses formes en l’adaptant aux différents contextes ».
Se saisissant de cet aveu et sans crainte de jouer à contre-emploi, les « Frondeurs version 2018 » faisaient valoir devant le Conseil Constitutionnel que cette abrogation méconnaissait « les limites de l’habilitation législative » qui – c’est un fait – ne l’avait pas prévue.
Les mêmes qui en 2016 s’étaient réjouis de l’immixtion par voie parlementaire dans le projet de loi El Khomri de cette instance de dialogue que le Gouvernement n’appelait pas initialement de ses vœux criaient haro sur l’amendement sénatorial qui était venu troubler en janvier 2018 le bel ordonnancement du projet gouvernemental !...
Et les auteurs du recours de faire valoir – au détriment des droits du Parlement – que le Gouvernement avait émis un avis défavorable à l’encontre de cet amendement d’abrogation, Madame la Ministre du Travail ayant même déclaré devant le Sénat, lors de son examen en commission, que : « Nous ne l’avons jamais évoqué et nous n’aurions même pas osé le faire ».
Le Conseil Constitutionnel vient toutefois objecter que « le champ d’une loi d’habilitation ne s’impose pas au législateur lors de l’adoption de la loi de ratification ».
Monsieur Alain RICHARD, Vice-Président L.R.E.M. de la commission des lois du Sénat, avait vu parfaitement juste lorsqu’il avait déclaré, lors de la discussion sur la loi d’habilitation, que « la loi de ratification, dans quelques mois, sera un véhicule plus approprié » pour abroger cette instance de dialogue.
Sur le fond, le recours regrettait que soit « supprimée la représentation du personnel dans les réseaux de franchise, représentation pourtant déclarée conforme à la Constitution par la décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 ».
Toujours selon les auteurs du recours : « Privant les salariés des réseaux de franchise de la représentation adéquate commandée par la structure particulière de ces réseaux, (cette abrogation) porte atteinte au principe de participation ».
Représentation « adéquate » (sic) ?! C’était oublier que cette instance de dialogue était née dans la confusion la plus totale, le rapporteur du projet de loi El Khomri à l’Assemblée Nationale ayant lui-même avoué son embarras face à cet amendement venu se greffer sur le texte gouvernemental.
Comme l’avait fait valoir avec force au Sénat Monsieur René-Paul Savary : « Rien ne justifie, économiquement comme juridiquement, des négociations sociales entre les salariés d’un franchisé et les dirigeants d’un franchiseur qui n’a aucun lien juridique, et notamment d’autorité, sur eux ».
Véritable ectoplasme juridique, cette instance de dialogue polluait le monde des réseaux, sapant le principe d’indépendance des franchisés et entretenant la fiction de franchiseurs, co-employeurs des salariés des franchisés.
Or les auteurs du recours faisaient valoir que « la suppression de l’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise porte (…) au principe de participation une atteinte injustifiée ».
Dit autrement, cette instance de dialogue aurait constitué une sorte de « droit acquis » sur lequel le législateur n’aurait pas été en droit de revenir !
Cependant et tout en jugeant que n’était pas inconstitutionnelle cette instance de dialogue, le Conseil Constitutionnel avait évoqué dans sa décision du 4 août 2016 « l’existence d’une communauté d’intérêt des salariés des réseaux de franchise » mais « l’absence de communauté de travail existant entre les salariés de différents franchisés ».
Ainsi donc que vient d’en décider fort logiquement le Conseil Constitutionnel : « La suppression d’une instance de dialogue social au sein d’un réseau de franchise, lequel ne constitue pas une communauté de travail, n’affecte pas les modalités de droit commun de la représentation du personnel au sein des franchisés et du franchiseur et ne méconnaît pas, en tout état de cause, le principe de participation des travailleurs ».
On ne saurait mieux dire !
Or et ainsi qu’il l’a annoncé par voie de presse il y a quelques jours, Monsieur Olivier Guivarch, secrétaire fédéral des services CFDT, a dit vouloir « convaincre le gouvernement et/ou les parlementaires de réintroduire ces dispositions à l’occasion d’un nouveau texte, comme par exemple le projet de loi sur la croissance » (Actuel RH, 06/02/18).
Toujours selon Monsieur Guivarch : « Peut-être faudrait-il modifier légèrement la composition de l’instance (…) Trois collèges ont été prévus, celui du franchiseur, celui des salariés et celui des franchisés. Nous ne sommes pas forcément pour maintenir ce dernier. Réunir 160 personnes autour de la table, c’est compliqué » (L’Express, 05/02/18).
Fasse cependant que cette instance de dialogue dans les réseaux de franchise soit définitivement enterrée et ne renaisse pas sous une nouvelle forme tout aussi sinon toujours plus mortifère pour les réseaux.
Et si Madame Penicaud, Ministre du Travail, a annoncé vouloir « travailler avec la profession à trouver une solution satisfaisante (…) », que le Gouvernement n’oublie jamais qu’il serait « nécessaire de prévoir des conditions spécifiques, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un domaine salarial classique »…
Inutile – pour reprendre l’expression savoureuse du Professeur Nicolas Dissaux, spécialiste du droit de la distribution – de faire renaître un « dialogue de lourd ». Car il faut « se méfier des mots brandis comme des talismans, toujours un peu suspects. On peut certes les claironner à tout rompre. Mais il arrive assez fréquemment qu’ils sonnent creux » (Recueil Dalloz, 23/06/16, éditorial page ..).
L’auteur :
Maître Rémi de Balmann est Avocat à la Cour d’Appel de Paris,
Associé - Gérant et responsable du département distribution franchise du cabinet D, M & D,
Coordinateur du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise
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